Le programme de la droite patronale: donner aux riches pour voler aux pauvres
Le programme de la droite patronale: donner aux riches pour voler aux pauvres
Début juin, le Conseil fédéral mettait en consultation son programme dit dallégement budgétaire «devenu nécessaire en raison de la chute brutale des recettes fiscales» selon un communiqué du Département fédéral des finances.1 Au menu, 3 milliards de coupes antisociales dans le budget fédéral. Le lobby patronal economiesuisse est aux anges, pour lui ce programme nest quun début, un premier «signe positif», il faudrait en effet viser 5 milliards de coupes «structurelles» et au-delà scénario que le Conseil fédéral évoque dailleurs mais la droite patronale se félicite dores et déjà: «Le conseil fédéral a fourni un gros effort dans un temps remarquablement court!»2
Et, en effet, les rythmes saccélèrent, à tel point que lorchestration de la «chute brutale des recettes fiscales» en question servant à «justifier» lampleur mesures de démontage social ne se verra couronner par le vote final des Chambres sur le «paquet ficelé» de cadeaux fiscaux fait aux familles aisées, aux propriétaires et aux actionnaires à hauteur de plus de 2 milliards que trois semaines après la publication du programme des coupes antisociales en question.3 Cest en effet le 20 juin que le paquet fiscal ou plutôt anti-fiscal du Conseil fédéral a été voté à Berne. Sa publication le 1er juillet dans la Feuille fédérale ouvre le délai référendaire de 100 jours permettant de mener à terme la campagne pour faire aboutir cet automne le référendum populaire indispensable pour tenter denrayer cette machine infernale néolibérale
Les casseurs sociaux à luvre
Ce référendum populaire auquel ont appelé les forces à la gauche du PSS regroupées dans le cadre de lappel «A gauche toute!» ne porte en effet pas, ou pas seulement, sur une question plus ou moins abstraite de justice fiscale, mais est directement dirigé contre le paquet de coupes claires antisociales dont le DFF lui même est contraint dadmettre pudiquement quil aura «des répercussions douloureuses dans divers domaines»4 contraignant la Confédération à «modifier radicalement» planification et programmes Comme lavoue le DFF: «Certaines tâches seront complètement abandonnées, comme la promotion des énergies de substitution, ainsi que lencouragement direct de la construction de logements »
Mais ce nest évidemment pas tout, survolons rapidement ce que quelques unes des 70 mesures «ciblées» par le gouvernement ont dans le collimateur5. Les gros postes sacrifiés relèvent de la sécurité sociale: 110 millions volés à ladaptation des rentes AVS par la suppression de lindice «mixte» qui tient compte de lévolution des salaires, 255 millions détournés par suppression de la contribution servant à financer les retraites anticipées, 100 millions soustraits aux prestations collectives de lassurance invalidité (AI), 12 millions piqués sur les crédits votés lautomne dernier pour la petite enfance, 7,5 millions sur des programmes de santé publique Laide au logement social est détroussée à hauteur de 140 millions. La coopération au développement se verra dépouillée de 180 millions la «promotion de la paix sacrifiera» quelques millions mais, quon se rassure, le message du gouvernement a le culot daffirmer qu« il faudra disposer en 2010 dune cinquantaine davions de combat modernes. Les investissements nécessaires correspondent à un montant aujourdhui estimé à quelque 3 milliards, une somme que le budget ordinaire de larmée ne suffira pas à financer» et quon trouvera bien sûr le moment venu.6
Le personnel fédéral est «naturellement» mis sous pression sous forme de postes liquidés par «compression linéaire des effectifs» (600 emplois) et «adaptation» des salaires, sabrés pour un montant de 350 millions Lenvironnement doit «rendre» 55 millions qui sont volés à la politique de lénergie, une vingtaine de millions sont soustraits à la protection de lair et contre le bruit, 30 millions sont pris sur la protection des eaux et la politique des déchets La culture sera ponctionnée dune douzaine de millions. Le durcissement de la politique dasile est censé quant à lui «produire» 77 millions et le catalogue nest évidement pas exhaustif.
Cantons sous pression
Le Conseil fédéral cherche à prétendre que son programme de coupes ninduira pas de report de charges sur les cantons. Cest évidemment une contre-vérité quil est obligé de démentir au fil des pages de son message. Il avoue par exemple que «Des charges supplémentaires indirectes pourraient être enregistrées en matière daide sociale, de frais de séjour dans les homes et de réduction des primes dassurance-maladie et peut être aussi dans les prestations complémentaires.»7 Ainsi, au-delà du seul budget fédéral, ce sont les finances des cantons et les prestations publiques de ceux-ci qui seront également mises sous pression
Le paquet ficelé de cadeaux fiscaux quant à lui aura également des conséquences sur les finances cantonales, ceci au-delà de leffet direct constitué par la perte de plus dun demi-milliard de part cantonale à limpôt fédéral direct qui part en fumée. Les estimations varient mais on se trouverait pour les cantons face à une perte supplémentaire de recettes de lordre de deux milliards, induite par les nouvelles «règles du jeu» fédérales, en matière dimposition des propriétaires notamment.
Ainsi lExécutif bernois par exemple, dans un communiqué du 16 juin, estime-t-il le manque à gagner annuel à terme découlant de ce paquet comme devant ascender à 250 millions pour le seul canton de Berne et à 100 millions pour les communes de celui-ci!8
Résistance: cantons en première ligne?
Ce sont ces effets sur les finances cantonales qui expliquent la levée des boucliers des gouvernements cantonaux, qui pourrait se traduire par le premier «référendum cantonal» de lhistoire suisse, qui doit réunir ladhésion de huit cantons pour que la loi contestée passe en votation populaire. Mais, début juillet, ce ne sont que 3 cantons qui ont adhéré au référendum9. Aussi, ne serons nous pas fixés avant septembre concernant lissue de ce référendum cantonal, à un moment donc où il serait bien trop tard pour se saisir du référendum populaire. Mais surtout et dans tous les cas, le référendum cantonal sera largement porté par des forces bourgeoises, qui éluderont la critique du caractère radicalement antisocial de ce paquet.
Un échantillon du discours dans ce sens a été fourni par la libérale genevoise Martine Brunschwig-Graf dont le parti est évidemment un champion de cadeaux fiscaux aux riches et vient den faire passer un en force, dune centaine de millions par an, en sabrant à léchelle genevoise limpôt sur les successions, que même Villiger admet comme étant un impôt «juste».
Au lendemain du vote des Chambres, MBG sest posée en avocate du référendum cantonal, mais en précisant que celui-ci ne remettait pas en cause la diminution du droit de timbre ou les cadeaux aux familles aisées et en évoquant même lidée dune initiative qui pourrait aussi venir des cantons en parallèle à leur référendum, pour remettre en selle ces volets du paquet.10 Puis, devant le parlement cantonal genevois, elle a estimé quil était «urgent dattendre» et de reporter à septembre la décision du Grand Conseil. Or il est évident quà la veille des élections fédérales, la majorité cantonale de droite ne désavouera pas ses élu-e-s-candidats aux Chambres les Dupraz Maître Polla & Co qui ont voté le paquet comme un seul homme
Mais a quoi donc le PSS joue-t-il?
Ainsi, quand le PSS déclare quil «attend que les cantons prennent leur responsabilité»11, adopte-t-il une attitude quon peut qualifier dirresponsable. Le PSS «encourage ses parlementaires cantonaux à tout mettre en uvre pour faire aboutir ce référendum cantonal»12 a-t-il déclaré. Mais, à Genève par exemple, cet engagement «parlementaire» sest traduit lautre jour par le non-dépôt par les socialistes dune motion ad hoc quils avaient préparée et qui était soutenue par lAlliance de Gauche et les Verts au motif que les partis bourgeois ny souscrivaient pas!
Dans une interview récente, la présidente du PSS, Madame Christiane Brunner, trouvera dautres arguments pour refuser le référendum populaire «Mener une récolte de signatures pendant lété pose un certain nombre de problèmes» dira-t-elle, en indiquant que son parti réserverait ses forces pour dautres batailles: «il faut faire des choix ( ) Cest une question de moyens financiers»13. Une des hypothèses envisagée cest en effet celle selon laquelle les «moyens financiers» dune partie de lélectorat socialiste conduiraient ce parti à combattre, disons modérément, ce paquet de cadeaux fiscaux aux plus aisés.
A vos stylos!
Ainsi la voie du référendum populaire et de la récolte de 50000 signatures cet été semble-t-elle incontournable pour battre la droite, la campagne en faveur de celui-ci devrait dailleurs sarticuler et sengrener avec la mobilisation en construction en défense des retraites. Les arguments en faveur du référendum ne manquent pas:
- Les deux-tiers des abattements fiscaux prétendument «en faveur des familles» soit 1,22 milliard profitent à la petite minorité (7%) des ménages aux revenus bruts supérieurs à 120000 Fr. environ14 et qui nont nul besoin dun tel cadeau qui sélèvera pour cette catégorie de revenus à plus de 800 millions par an! A contrario, lécrasante majorité des familles avec enfants qui ont un revenu annuel inférieur à 60 ou 70000 Fr ne gagneront rien ou pratiquement rien!
- Aux propriétaires ou aspirant-propriétaires de logement on fait cadeau du beurre et de largent du beurre, à hauteur de 480 millions. Dun côté, on supprime limposition de la «valeur locative» pour les propriétaires, de lautre on maintient toute une série de déductions en matière dintérêts hypothécaires (pour un couple 15000 fr. par an pendant 5 ans, puis une déduction réduite par paliers mais subsistant pendant encore 5 ans). En outre, quelle que soit limportance de limmeuble, les frais dentretien au-delà de 4000 Fr. sont intégralement déductibles par les propriétaires (les locataires quant à eux peuvent se brosser pour déduire quoi que ce soit en matière de frais liés à leur logement) En outre, lépargne-logement qui nest bien entendu à la portée que dune minorité aisée est récompensée par un cadeau supplémentaire dune cinquantaine de millions de francs. Ce sont 12000 Fr. par an qui pourront ainsi être déduits du revenu imposable dune personne seule et le double pour un couple. «Nous ne voulons pas ( ) de demi mesures» sexclamait aux Etats le sénateur radical schwytzois Toni Dettling président de la Société suisse des propriétaires fonciers et membre de ce «Club de Bellevue» ayant opéré le «putsch» dénoncé dans la presse bourgeoise elle-même consistant à maximiser de manière indécente les cadeaux aux propriétaires au risque de couler le paquet.15
- La révision du droit de timbre, est pérennisée et passe dans le droit ordinaire. Elle offre plus de 310 millions aux actionnaires. Par rapport aux «mesures urgentes» entrées en vigueur au début de 2001, les Chambres ont élargi les catégories de firmes exonérées et quadruplé la «franchise» appliquée dans le cadre du droit démission qui passe à un million de francs.
- Petits et moyens revenus nen profiteront pas, ainsi aucune espèce d«impulsion conjoncturelle» ne découlera de ce paquet. Au contraire, Confédération et cantons se verront sciemment privés de moyens financiers indispensables pour assurer les prestations sociales. Et ces milliards de cadeaux fiscaux devront être payés par la majorité de la population sous forme dun démantèlement social déjà en route… Par contre, il est un taux de croissance que ce paquet fiscal contribuera à dynamiser, cest celui des millionnaires. Notre pays compte aujourdhui 175000 millionnaires en dollars, le 7.6% des millionnaires résidant en Europe16. Leur nombre a cru de 6% en une année, alors que notre pays enregistrait dans le même temps 100000 chômeurs-euses de plus
Pierre VANEK
Les infos sur le référendum et les listes seront disponibles incessamment sur notre site ou sur simple coup de fil au 022 740 0 740
- Communiqué du DFF du 2.6.03
- economiesuisse «Opinion» du 10.6.03
- Projets dactes législatifs et explications du Conseil fédéral concernant les mesures dallègement 2003 du budget de la Confédération du 28 mai 2003
- DFF Thèmes-clés, juin 2003
- Les chiffres cités sont des valeurs annuelles pour 2006, année lors de laquelle le programme dallègement aura achevé sa «montée en puissance». Pour 2004 cest un premier montant de 800 millions de coupes qui est agendé.
- Projets… (v. note 3) p.38
- Idem p.51
- Communiqué de presse du Conseil dEtat bernois du 16.6.03
- Berne, Saint-Gall, Soleure.
- V. Le Courrier du 21.6.03
- Communiqué PSS du 20.6.03
- Communiqué PSS du 28.6.03
- Le Temps, 23.6.03
- Revenus imposables supérieurs à 100 000 Fr.
- Le Temps du 2.6.03
- Selon le rapport annuel de Cap Gemini Ernst & Young cité par la Tribune de Genève du 12.6.03