«L’autre Suisse: 1933-1945: syndicalistes, socialistes, communistes: solidarité avec les réfugiés»

«L’autre Suisse: 1933-1945: syndicalistes, socialistes, communistes: solidarité avec les réfugiés»

L’Université ouvrière de Genève vient de publier son cahier no 2, consacré à un colloque organisé en mai 2002, avec l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier1. Il introduit une problématique, souvent négligée: la solidarité du mouvement ouvrier avec les réfugié/es, durant les années 1933-1945.


Les débats historiques récents se réduisent souvent à la question: la Suisse, une nation de résistants ou de «collabos»? Les deux, mon général!


Ce cahier aborde les «sujets qui fâchent»: la politique à l’égard des réfugiés et les réactions du mouvement ouvrier (Marc Perrenoud), les réfugiés anti-fascistes (Mauro Cerutti), la socialiste et activiste humanitaire Regina Kägi Fuchsmann (Michèle Fleury), le rôle du Parti communiste suisse (Karl Odermatt), le mouvement ouvrier genevois et les réfugiés espagnols durant la guerre (Sébastien Farré), les questions de la mémoire des réfugiés et de «l’Autre Suisse» (Luc van Dongen), la solidarité avec les réfugiés: quelle histoire scolaire pour aujourd’hui et pour demain? (Charles Heimberg), l’histoire, la mémoire et le présent de la solidarité (Marie-Claire Caloz-Tschopp).


Certes, «La remise en cause de l’image avantageuse que la Suisse officielle avait réussi à donner d’elle-même pour la période 1933-1945 n’est pas nouvelle. La contribution de Luc Van Dongen, que l’on trouvera dans ce recueil, retrace les grandes étapes de ce mouvement critique de plus en plus profond; elle relève aussi qu’aujourd’hui, si les historiens ont fait justice des belles légendes et rendu insoutenable la construction qui avait régné sans partage au cours des années 1948 à 1955, il s’en faut de beaucoup que les conclusions de leurs travaux soient passés dans le domaine de l’opinion publique»2.

Soulignons deux aspects de ce colloque:

la projection du film, «La trace interrompue: anti-fascistes en Suisse 1933-1945» (Mathias Knauer). Réalisé avec des témoins de l’époque, il n’a jamais été présenté à la Télévision suisse romande. Autre contribution à la récupération de la mémoire: notre ami Daniel Künzi vient de sortir deux documentaires: l’un consacré aux volontaires suisses des Brigades internationales en Espagne, l’autre sur les Suisses qui ont rejoint la Résistance française et les Forces Françaises libres3.


Concernant le Tessin (fruit d’une tradition héritée du «Risorgimento» italien au XIXe siècle), Mauro Cerutti a relevé la solidarité des socialistes (le conseiller d’Etat Guglielmo Canevascini, en tête) avec les anti-fascistes italiens et leur lutte contre le courant fasciste et «irrédentiste» dans ce canton4.


Ce colloque ouvre donc des pistes pour un travail nécessaire sur l’existence de résistant/es au fascisme et au nazisme5 qui n’ont donc point attendu le général Guisan6. «Non pas dans un but hagiographique: il ne s’agit pas de créer de nouvelles légendes, de dissimuler certaines faiblesses ou positions équivoques; la sympathie que l’on éprouve pour une cause ne doit en aucun cas faire taire l’esprit critique»7. Cette recherche est d’autant plus importante que les débats sur le rapport de la Commission Bergier montrent comment la prétendue «Union démocratique du Centre» sait occuper le terrain et pêcher dans des eaux plus que troubles: en assimilant socialisme et nazisme; en présentant son opposition à l’Europe comme la continuation de la résistance à l’Allemagne nazie (!). Un comble pour un parti, dont les ancêtres politiques auraient fourni quelques «gauleiter»8, si l’histoire avait tourné autrement…


On ne peut que souhaiter une diffusion massive de ce cahier, véritable antidote à la vague d’ouvrages basés sur l’esprit de la «Mob»9 et continuations d’un livre d’histoire suisse commis par un ex-conseiller fédéral décédé.


Hans-Peter RENK

  1. Un premier cahier, en 1999, était consacré à «1848-1998: 150 ans de luttes pour l’Etat social… et demain?»
  2. Introduction de Marc Vuilleumier.
  3. Daniel Künzi, «La Suisse et la guerre d’Espagne»; «Des Suisses à l’aventure (avec de Gaulle)».
  4. Deux exemples: le raid aérien sur Milan (1930), par le mouvement «Giustizia e Libertà» de Carlo Rosselli, pour y déverser des tracts anti-fascistes; la raclée infligée en 1934 aux fascistes tessinois par le groupe d’action «Liberi e Svizzeri», qui fit avorter la «marche sur Bellinzone», organisée par le premier lieutenant Nino Rezzonicco .
  5. Georges-Henri Pointet (fondateur du Front anti-fasciste à Neuchâtel, mort en août 1944 au débarquement de Provence), «Armée et fascisme en Suisse», in: Journal du GSSA, no 47.
  6. Le discours de Guisan au Grütli (1940), ses accointances avec les «associations patriotiques» et son rapport élogieux sur les manœuvres de l’armée italienne en 1938 indiquent nettement ses tendances réactionnaires.
  7. Introduction de Marc Vuilleumier.
  8. L’un des fondateurs du parti des «Paysans, artisans et bourgeois» (ancêtre de l’UDC), le colonel Eugen Bircher – fondateur de la «Fédération patriotique suisse» (les ex- «gardes civiques» de novembre 1918) – a organisé 4 missions médicales aux côtés de l’armée allemande en 1942-1943 en Russie, sur le front de l’Est!
  9. Parmi les responsables de ces chef-d’œuvre, la Ligue vaudoise (extrême-droite maurassienne) qui, en été 1940, oeuvrait à une «rénovation nationale», consistant à censurer la presse, introduire un système corporatif et restaurer la fonction de «landamann de la Suisse».

«L’autre Suisse: 1933-1945: syndicalistes, socialistes, communistes: solidarité avec les réfugiés» / Marc Vuilleumier et Charles Heimberg (éd.). Genève: Université ouvrière; Lausanne: Ed. d’En Bas, 2003 (Les cahiers de l’UOG; no 2/2003).