Alep-Est

Alep-Est : Nos destins sont liés

Les quartiers libérés d’Alep-Est sont tombés il y a quelques jours, pilonnés par l’aviation russe et le régime d’Assad. Un déluge de feu couplé au sol par l’intervention des forces pro-régime, composées de centaines de soldats d’élite de la Garde républicaine, de la 4e division syrienne, mais surtout de milliers de combattants irakiens, afghans et libanais encadrés par l’Iran et le Hezbollah. Dans la conquête de ces quartiers, de nouveaux crimes ont été commis par les forces pro-régime. Au cours des derniers jours, des sources d’informations crédibles indiquent en effet qu’elles auraient abattus environ 82 civils à leur domicile ou dans la rue. La victoire des forces pro-Assad provoque de fait un nouveau déplacement de populations. A l’heure où nous écrivons, entre 50 000 et 80 000 personnes, majoritairement des civils, sont ainsi entrées dans un processus de transfert forcé.

Les puissances occidentales se bornent à exprimer leurs regrets, mais n’agissent même pas dans le domaine humanitaire. Le 19 décembre dernier, le Conseil de sécurité a certes voté à l’unanimité, y compris la Russie, de déployer des observateurs de l’ONU et d’autres organisations à Alep pour y superviser les évacuations et garantir la sécurité des civils. Cela ne change néanmoins pas l’orientation politique générale des Etats-Unis et des Etats européens qui, loin de tendre à un processus de transition démocratique en Syrie, ne s’opposent pas au dictateur Assad et à ses colistiers malgré leurs crimes. Sans parler du fait que la coalition internationale sous la direction des Etats-Unis, qui bombarde des positions de l’EI en Syrie et en Irak depuis août 2014, est coupable de nombreuses bavures ayant causé la mort de plus de 1900 civils dans les deux pays depuis le début des frappes.

Il existe une tendance générale, au niveau mondial, à vouloir liquider la révolution syrienne et ses aspirations démocratiques au nom de la «guerre contre le terrorisme». La victoire de Donald Trump aux Etats-Unis renforce cette propension, celui-ci ayant en effet déclaré à plusieurs reprises qu’il souhaitait conclure des accords avec Poutine sur la Syrie. Malgré le manque de continuité et la volatilité des positions de Trump en matière de politique étrangère, la nomination récente de Rex Tillerson – patron du géant pétrolier ExxonMobil – au poste de secrétaire d’Etat confirme la tendance évoquée.

Notoirement connu pour ses positions pro-russes, Rex Tillerson a ainsi reçu, en 2013, des mains de Poutine l’ordre de l’Amitié, plus haute distinction russe pour un civil. La conquête d’Alep s’inscrit dès lors dans la volonté du régime de Damas et de ses alliés russes et iraniens de placer le nouveau président étatsunien devant un fait accompli lors de son entrée en fonction le 20 janvier prochain.

Face à la guerre et aux crimes sans fin du régime Assad et de ses alliés contre le peuple syrien, face à la volonté croissante des puissants de liquider les aspirations démocratiques de la révolution syrienne, il faut réaffirmer notre soutien à la lutte des forces démocratiques et progressistes en Syrie qui se battent pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité, contre toutes les formes de confessionnalisme et de racisme.

Pour cela, il faut en premier lieu arrêter la guerre, qui ne cesse d’engendrer des souffrances terribles, empêche le retour des réfugié·e·s et déplacé·e·s internes, et ne profite qu’aux forces contre-­révolutionnaires issues des deux bords. Il faut également dénoncer toutes les interventions étrangères qui s’opposent aux aspirations au changement démocratique en Syrie, que ce soit sous la forme d’un soutien au régime (Russie, Iran, Hezbollah) ou en se proclamant «amis du peuple syrien» (Arabie Saoudite, Qatar et Turquie). De même, nous devons refuser toutes les tentatives, qui se multiplient, de légitimer à nouveau le régime d’Assad au niveau international. Il s’agit là d’un point essentiel pour l’empêcher de jouer un rôle dans le futur du pays. Un blanc-seing donné aujourd’hui aux crimes du régime Assad délivrerait de fait un signal d’impunité au reste des États autoritaires dans le monde et les encouragerait à agir de la même manière pour écraser leur population à leur tour.

Face à ce constat, réaffirmons notre solidarité avec les forces démocratiques et progressistes qui luttent contre le régime criminel d’Assad et les forces fondamentalistes religieuses, tout en demandant des protections pour les civils. Il faut s’adosser aux mobilisations actuelles à travers le monde pour recréer une véritable solidarité internationaliste et progressiste. Elle s’attachera à dénoncer toutes les puissances impérialistes internationales et régionales sans exception, ennemies des peuples en luttes, tout en s’opposant aux politiques néolibérales, sécuritaires, racistes et de fermeture des frontières des Etats européens, y-compris la Suisse. Ces politiques ont transformé la Méditerranée en un grand cercueil pour les personnes fuyant les guerres et la misère sociale.

Ici, là-bas: inexorablement, nos destins sont liés…

Joe Daher