Féminin-Masculin
Féminin-Masculin : Pour un féminisme du 21e siècle en lien avec les luttes d'émancipation sociale
Du 23 au 25 septembre dernier, solidaritéS tenait son troisième Congrès. Nous publions ici la résolution féministe adoptée lors de ce week-end, ainsi que de larges extraits du texte d’orientation qui l’accompagnait.
Gaelx
La question féministe est souvent encore abordée, y compris dans nos rangs, comme un supplément d’âme qui permet de répondre aux «besoins» des femmes d’être «présentes» dans la discussion. A cela s’ajoute l’idée rebattue, le sentiment faussement partagé, que l’imaginaire politique du féminisme semble mort ou du moins fortement tari en Occident. Ainsi, les questions que soulève le féminisme sont-elles le plus souvent reléguées dans des groupes ad hoc, avec peu ou pas d’interactions avec le mouvement dans son ensemble. Les femmes redeviennent ce faisant «un groupe autre, à part» alors même que le genre avait été l’instrument pour penser les femmes dans le cadre de rapports sociaux de domination impliquant des hommes et des femmes et visant surtout à rendre visible ces rapports.
A cela s’ajoute le fait que, si les hommes et les femmes peuvent admettre plus ou moins aisément, du moins parmi nous, que les femmes subissent le sexisme engendré par le patriarcat, ils·elles le dénient souvent dans la réflexion sur les modes d’organisation et les pratiques de leurs propres mouvements. Ainsi, la gauche radicale n’a-t-elle guère avancé dans ses tentatives de faire échec aux pratiques sexistes au sein même de ses organisations.
La nécessité de proposer un texte sur le positionnement féministe de solidaritéS s’inscrit bien entendu toujours dans l’exigence renouvelée de comprendre les formes de discriminations spécifiques et combinées dont les femmes sont l’objet et de proposer des répertoires d’action pour les combattre. Mais elle s’ancre aussi et peut-être surtout dans la conscience acquise des bouleversements qu’a connu l’engagement féministe au cours de ces vingt ou trente dernières années et des nouvelles questions qui surgissent et auxquelles cet engagement spécifique est aujourd’hui confronté face notamment à l’émergence de nouvelles subjectivités et de nouveaux sujets.
L’usage même du mot fait problème. Tout d’abord dans les pays du Sud, où, même si des mouvements féministes indigènes existent depuis des décennies, une certaine forme de ce «féminisme» dominant a pu être compris et vécu, parfois même violemment, comme un reflet de la domination coloniale et impérialiste, notamment lors de guerres impérialistes comme en Afghanistan.
En Occident aussi, où à mesure que les discours féministes ne sont plus portés par un mouvement comme dans les années 70–80, ceux-ci ont pu parfois se muer en un signifiant creux, servant à légitimer toutes sortes de scénarios politiques qui ne promeuvent ni la justice sociale ni la «justice de genre». Ceci sans compter les attaques et le dénigrement constant contre les mouvements féministes par les mouvements conservateurs et réactionnaires qui ont toujours chercher à créer une image «hystérique» et caricaturale des militantes et des revendications féministes. A ceci s’ajoute la nouvelle vague masculiniste décomplexée (dont Eric Zemmour représente en France l’un des hérauts) qui contribue à rendre de plus en plus acceptable, voir légitime, le rejet de tout combat pour l’égalité.
Et pourtant, plus que tout autre, sans doute, le féminisme ne peut se penser que comme la fusion d’une théorie critique et d’un mouvement social et politique, qui s’inscrit dans une tradition de luttes visant à renverser un «ordre produit et établi».
Dans les années 1968, le «nouveau mouvement féministe» envisageait la libération comme un processus dialectique: pas de libération des femmes sans libération des opprimé·e·s dans leur ensemble et pas de libération des opprimé·e·s sans libération des femmes. Son objectif était de se poser en ferment d’une alliance contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression (de genre, de classe, de «race»), ne serait-ce que parce que bon nombre de femmes les subissaient toutes à la fois.
L’articulation nécessaire du combat contre la domination masculine et les autres formes de domination, du féminisme avec les luttes de classe, de libération nationale, avec celles de l’immigration, de la jeunesse, des gays et lesbiennes, etc., était la pierre de touche du mouvement des femmes. Les féministes matérialistes ont ainsi contribué à penser l’imbrication des dynamiques d’oppression ; plus tard, ce sont les afro-féministes qui en seront les principales théoriciennes jusqu’à la conceptualisation de l’intersectionnalité.
Depuis les années 80, ces positions radicales ont largement marqué un repli dans la société dans son ensemble. Avec le «tournant néolibéral» et la «mondialisation capitaliste», qui ont placé le mouvement social sur la défensive, le féminisme «insurrectionnel» a cédé progressivement du terrain à ce que la sociologue états-unienne Nancy Fraser («Féminisme et capitalisme: une ruse de l’histoire», solidaritéS, nº 187), appelle le «féminisme dompté», qui invite les aspirations féministes à trouver une (petite) place dans la construction normative du capitalisme néolibéral, réduisant «la radicalité transformatrice du féminisme» (Vanden Daelen, Féminismes en mouvement. Des suffragettes aux alter-féministes, 2009, cadtm.org.).
Il faut ajouter à cela une «ONGisation» de ce féminisme dompté, qui rend ses objectifs de plus en plus dépendants de ses bailleurs de fonds. Il est devenu ainsi normal de penser les objectifs du féminisme en termes de participation des femmes aux institutions politiques et économiques existantes ou de simple égalité de droits, et d’abandonner ce faisant toute perspective de transformation radicale de la société. Or, comme l’a écrit Eleni Varikas («Réflexion critique sur la demande de parité des sexes», Nouvelles Questions Féministes, 1995): «il ne suffit pas de faire ‹fonctionner› la société avec ‹des femelles› aussi, si on ne touche pas aux conditions qui font des femmes et des hommes des dominants et des dominés».
Ainsi, dans le même temps qu’il s’est en partie institutionnalisé, le féminisme a pu être plus facilement instrumentalisé par le pouvoir, tout d’abord en ne contestant pas sa compatibilité avec le néolibéralisme. Dans ce sens, les politiques sociales-libérales, voire conservatrices, ont pu défendre des mesures de parité cosmétiques dans le domaine du travail, non pas dans une perspective de renversement des stéréotypes de genre et de justice sociale, mais bien pour piocher dans la main d’oeuvre féminine afin de faire tourner la machine capitaliste. Cela n’implique pas, bien entendu, que nous devrions nous opposer aux mesures visant à faciliter l’accès des femmes au marché du travail, mais que nous devrions en comprendre la dynamique dans sa globalité. En effet, ces mesures visent bien souvent à servir les intérêts de la classe dominante sous couvert de droits des femmes.
Ainsi, en est-il également de l’exigence de la parité des sexes au sein des institutions (récemment encore, la Commission fédérale pour les questions féminines appelait à «voter femmes», en vidant cette consigne de tout contenu politique ; solidaritéS nº 274). Aussi légitime soit-elle, cette exigence est ainsi dissociée de la participation effective des exploité·e·s et opprimé·e·s à la vie politique, qui impliquerait une modification profonde du fonctionnement de celle-ci.
Aujourd’hui, la revendication de l’égalité formelle semble remplacer la tension vers l’égalité substantielle, vers un horizon émancipateur dont les promesses restent à réaliser ici comme ailleurs. Et pourtant, ici les prises de position des unes et des autres sur l’élévation de l’âge de la retraite des femmes, sur l’extension des heures d’ouverture des magasins, ou sur le remboursement de l’avortement, montrent bien que la «solidarité» entre femmes s’arrête là où les intérêts partisans et de classe s’affirment.
Combien y a-t-il d’employés peu qualifiés, d’ouvriers, d’immigrés, de précaires – femmes ou hommes – dans les parlements? La représentation politique de ces catégories majoritaires, fortement discriminées, est-elle d’ailleurs concevable sans mettre en cause le salariat sous-payé, aux horaires flexibles, et précaire? Est-elle possible sans rompre avec la démocratie représentative, où l’égalité des candidat·e·s et des élu·e·s est une fiction au regard de leur inégalité sociale? Est-ce possible sans mettre en cause le fonctionnement même de l’Etat, comme instrument de domination séparé de la société? Et faute de pouvoir apporter des réponses – au moins dans l’immédiat – à ces questions, est-on bien certain·e·s de les avoir gardées présentes à l’esprit?
Un certain féminisme a été aussi enrégimenté de façon évidente pour servir la «guerre des civilisations», promue largement au lendemain du 11 septembre 2001, et que nous avons vu relancée en France, suite aux attentats de janvier et novembre 2015, mais aussi en Suisse, avec les campagnes de l’UDC contre le voile et les minarets, avec les politiques qui confondent défense de la laïcité avec lutte contre l’islam, avec les appels de féministes historiques aux femmes migrantes les invitant à adopter «nos valeurs», cherchant ainsi à «sauver les femmes malgré elles et contre leur gré».
Ainsi, les femmes «racisées» issues de l’immigration sont-elles «sommées d’interagir» avec la société européenne, comme si elles n’en faisaient pas partie (Delphy, «Beauvoir l’héritage oublié», Travail, Genre et société, 2008). Les premières à souffrir de cette instrumentalisation sont bien souvent les femmes musulmanes, et plus particulièrement les femmes musulmanes voilées, désignées comme bouc émissaire. Ainsi, tandis que l’UDC propose d’interdire la burka dans l’espace public au Tessin, ou le voile à l’école en Valais, une partie de l’extrême droite commence à se poser en défenseur des femmes et des personnes LGBTQI, contre les populations musulmanes, dénoncées et essentialisées comme sexistes et homophobes.
L’alibi de la libération des femmes pare donc d’un vernis démocratique, non seulement les aventures néocoloniales, mais aussi la stigmatisation des immigré ·e·s non européens (réputés plus machistes et violents), et le renforcement de l’Etat pénal. Il se nourrit de l’idée trompeuse, qu’en Occident, «l’égalité est acquise» (les diverses campagnes «Women against feminism» semblent l’attester), mettant ainsi en opposition des sociétés occidentales idéalisées, apparemment exemptes de sexisme et des sociétés musulmanes essentialisées, décrites comme archaïques et oppressives. Par ce tour de passe-passe, le sexisme est nié, parce qu’imputé à l’«autre».
En outre, les questions les plus subversives de l’égalité substantielle et de l’émancipation sociale, portées par le féminisme, ont été ces dernières années en partie désamorcées. Si cela ne peut bien entendu être imputé aux féministes, la responsabilité de celles d’entre elles qui adhèrent peu ou prou à l’idée d’une promotion individuelle progressive des femmes dans le cadre des institutions économiques, sociales et politiques existantes, ne doit pas être négligée. Ne sont-elles pas «comptables», comme l’écrivait Christine Delphy, de ce qu’on fait de leur lutte? Le patriarcat et le capitalisme ont en effet une extraordinaire capacité d’adaptation ; l’instrumentalisation actuelle et la récupération de certaines revendications féministes dans le cadre des politiques néolibérales, qui accroissent de facto les inégalités entre les femmes, sont l’un des exemples les plus manifestes de cette plasticité. […]
Il est grand temps de réactiver les promesses émancipatrices du féminisme, alors que semble disparaître, derrière le lissage d’un féminisme en partie récupéré, «politiquement correct», le bien-fondé de l’articulation nécessaire des luttes pour la libération des femmes et pour l’émancipation de tous les opprimé·e·s. Il s’agit ainsi de renouer avec un féminisme anticapitaliste en questionnant les fondements de notre société patriarcale, de classe, néocoloniale, etc., pour saisir l’intrication de ses formes de domination. […]
Marjorie Blanchet
Stefanie Prezioso
Paola Salwan Daher
Audrey Schmid
Résolution adoptée
Depuis près de 50 ans que les années 68 ont renouvelé les termes du débat sur la domination patriarcale et l’«oppression spécifique des femmes» en contribuant à penser l’imbrication des dynamiques d’oppression, et près de 30 ans que les afro-féministes ont conceptualisé l’intersectionnalité partant de la situation concrète des femmes concrètes, le féminisme a dû se confronter aux nouveaux visages du néolibéralisme. En effet, la précarisation du travail, la privatisation des biens communs, la marchandisation de la vie quotidienne et le transfert croissant des tâches de care aux familles et sa transnationalisation, ont eu des conséquences distinctes et plus marquées pour les femmes.
En même temps, le nouvel ordre capitaliste a favorisé l’oubli, la ringardisation, voire le discrédit des luttes collectives du passé: le dénigrement du féminisme des longues années 1968 et avec lui des apports de l’afro-féminisme et du féminisme décolonial participe de ce «lavage de cerveaux». Il contribue plus que jamais à diviser les opprimé·e·s, à segmenter leurs résistances, à les opposer les un·e·s aux autres. En réponse au vécu de plus en plus difficile de la grande majorité des femmes, les classes dominantes ne cessent de nourrir une idéologie individualisante faisant apparaître les conséquences des rapports sociaux de genre comme des questions «personnelles» que chaque femme doit s’efforcer de régler dans sa sphère privée.
Il favorise aussi le retour en force des idéologies patriarcales les plus réactionnaires, qui empruntent souvent le langage des fondamentalismes religieux (monothéistes et autres) ou antireligieux. Ces idéologies défendent ouvertement la soumission des femmes aux hommes, et mettent en cause les acquis des combats féministes des décennies passées. Il en va ainsi de la banalisation des violences sexistes, du harcèlement sexuel (notamment dans la rue, à l’école, et au travail), du contrôle accru du corps des femmes (de l’hypersexualisation au voile imposés), de la traite des personnes, du travail forcé qui peut impliquer l’exploitation sexuelle (qui exploite en particulier le statut fragile des réfugiées, des migrantes, etc.), des nouvelles offensives contre le droit à l’avortement, du non-respect de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, etc.
C’est pourquoi solidaritéS contribue aux approches radicales et globales élaborées dans les années 1970 et 1980 et développées depuis, prenant en compte les transformations sociales profondes de ces dernières décennies afin de répondre à une série de «nouvelles questions féministes». Associant étroitement le développement de la pensée et de l’action, solidaritéS encourage la participation de ses militant·e·s au mouvement féministe autonome pour aider à le renforcer dans sa dimension anticapitaliste, écologiste et internationaliste.
1. solidaritéS réaffirme qu’aucune émancipation humaine n’est concevable sans un combat résolu contre l’oppression patriarcale. Pour autant, nous refusons de hiérarchiser les oppressions – de genre, de classe, de «race», de nationalité, de statut, d’orientation sexuelle, etc. – subies par l’écrasante majorité des femmes et défendons pour cela un féminisme inclusif.
2. solidaritéS s’engage à lutter contre toutes les formes de discriminations et d’inégalités à l’encontre des femmes, aggravées par le caractère pluriel et combiné des oppressions qu’elles subissent (inégalités persistantes – voire croissantes – au travail rémunéré et non-rémunéré ; violences, agressions, harcèlements, viols, mutilations ; limitations du droit à l’avortement ou à la contraception ; exclusion de l’espace public, prescriptions vestimentaires, réclusion dans la sphère privée ; exploitation par les réseaux de prostitution, etc.) et contre toutes les idéologies,notamment fondamentalistes religieuses, porteuses de visions du monde et de discours patriarcaux et homophobes.
Si nous refusons les discours patriarcaux sur ce que doivent ou ne doivent pas être les comportements des femmes, ce n’est pas pour valider d’autres discours prescriptifs, sur ce que devrait ou ne devrait pas être la conduite des «femmes émancipées».
3. solidaritéS inscrit son engagement féministe dans la perspective d’une transformation radicale des rapports sociaux visant l’émancipation humaine. Celle-ci exige une compréhension de la position effective des femmes, qui résulte du cumul et de la combinaison de différentes formes d’oppression. Dans le parcours d’une vie, elle commence par l’éducation sexiste et hétéronormée des petites filles et des petits garçons. La majorité des femmes subissent des rapports sociaux de genre qui se déclinent concrètement en termes de bas salaires, de fonctions subalternes, de contrats précaires et de doubles journées de travail ou de déplacement de l’exploitation vers d’autres femmes (travailleuses domestiques). Ceux-ci sont exacerbés par des politiques étatiques défavorisant la prise en charge des enfants par les pères (inexistence d’un congé parental égalitaire), et une insuffisance et des coûts trop élevés des services publics (prise en charge de la petite enfance, parascolaire, soin aux malades, aux personnes avec un handicap et aux personnes âgées, etc.).
Sans oublier les femmes seules avec enfants et les femmes sans activité rémunérée vivant dans l’insécurité économique, qui risquent la dépendance financière et l’isolement. De plus, une activité non rémunérée reste encore aujourd’hui dévalorisée, pour les femmes et pour les hommes. L’accumulation de ces conditions défavorables, amène au statut peu enviable des femmes du quatrième âge. Celles-ci sont souvent confrontées au dénuement, à l’isolement, et à la fragilité extrême, en l’absence de réponse collective et solidaire, dus notamment aux failles de l’AVS.
Ces rapports sociaux de genre interagissent encore avec d’autres formes d’oppression, liées notamment à la nationalité, au statut légal, à la couleur de la peau, à la religion, etc. Dans cet ordre d’idées, le foulard est devenu aujourd’hui l’enjeu d’un discours excluant à l’égard des femmes musulmanes qui souhaitent le porter et s’exposent ainsi à des brimades supplémentaires. Ces discriminations confrontent également, de manière différente, la communauté LGBTQI.
4. Le caractère pluriel et combiné de l’oppression des femmes dans le cadre d’une société marquée par l’exploitation du travail, le patriarcat, la xénophobie, le racisme, l’homophobie, la transphobie, etc. implique que nous devons porter une attention spécifique à la résultante inégale de ces multiples oppressions sur la majorité des femmes. Tout projet d’émancipation humaine digne de ce nom, passe par la prise de parole, l’organisation et la lutte collective des opprimé·e·s.
Cela vaut plus encore pour les femmes, opprimées parmi les opprimés, dont la libération ne peut faire l’économie d’une prise de parole propre, d’une formulation de revendications spécifiques, d’une organisation séparée ou mixte lorsqu’elles l’estiment nécessaire, d’une prise de responsabilité (en particulier dans les organisations mixtes), etc.
solidaritéS s’efforce pour cela d’inscrire les combats sociaux dont il est porteur dans une perspective féministe radicale et inclusive, facilitant ainsi leur engagement dans la lutte.
5. solidaritéS s’engage à déconstruire systématiquement et radicalement les stéréotypes de genre, à tous les niveaux: dans nos pratiques quotidiennes, dans nos prises de responsabilités, dans nos écrits, dans nos discours, dans nos luttes.
Afin de définir et mieux coordonner nos priorités dans notre engagement féministe sur l’ensemble de nos terrains d’interventions, notamment dans le mouvement autonome des femmes et dans les commissions féminines des syndicats, solidaritéS développe des groupes de travail «FéministeS en lutte» aux niveaux local et interrégional. Nous veillons à ne pas «ghettoïser» ce travail d’élaboration et d’intervention, mais aussi à ne pas donner à ces groupes des rythmes tels qu’ils empêcheraient de fait les militant·e·s impliqué·e·s dans ce travail de participer activement au mouvement autonome des femmes ou aux autres domaines d’intervention de solidaritéS. Les groupes de travail de solidaritéS portant sur les questions de rapports de genre et les luttes LGBTIQ ont la possibilité, après accord entre les groupes des différentes sections, de soumettre des propositions relatives aux questions abordées dans la présente résolution à la CIR.
6. solidaritéS s’efforce de développer les instruments politiques et organisationnels appropriés pour faciliter l’intégration effective des femmes dans le mouvement, leur prise de parole (écoute empathique, calcul du temps de parole), et leur participation aux décisions en favorisant la parité à tous les niveaux, notamment au niveau des candidatures aux élections, des postes de secrétaires, des instances nationales et locales, du comité de rédaction du journal, des groupes de travail, des assemblées générales (avec alternance président–présidente), etc.
Parmi les mesures proposées figure notamment, de manière non exhaustive:
- Ateliers non-mixtes pour l’auto-détermination des femmes, par exemple à travers des ateliers de prise de parole en public ;
- Charte antisexiste développée par les principales concernées, soumise pour adoption aux assemblées générales.
- Dans les instances du mouvement une modératrice antisexiste avec un droit d’intervention direct en cas de comportement sexiste ;
7. solidaritéS renforce son engagement et sa présence dans les organisations syndicales et associatives, mais aussi dans les coordinations nationales et internationales qui intéressent le plus directement les luttes des femmes, les combats féministes et les mobilisations LGBTIQ. Nous devons donner à cet engagement une priorité et une consistance nouvelles afin d’augmenter et de renforcer son impact et sa visibilité.
8. solidaritéS cherche à tisser des liens avec d’autres groupes féministes et des groupes de défense des droits des LGBTIQ qui se reconnaissent dans ses valeurs fondamentales. Conscient de l’importance du mouvement autonome des femmes, solidaritéS encourage ses militantes à y participer – selon leur disponibilité et motivation personnelle – et à aider à construire, en son sein, un pôle anticapitaliste, antiraciste et écologiste. Dans la mesure où la Marche mondiale des femmes (MMF) répond à ce critère par son programme et ses actions, les militantes de solidaritéS sont invitées à renforcer au niveau local, national et international ce réseau féministe.
9. solidaritéS se penche activement sur la question du travail du sexe/prostitution, notamment en organisant des conférences ou des points politiques dans les assemblées, dans le but de se positionner au plus vite dans ce débat.
10. solidaritéS constate la division dans le système capitaliste entre le travail salarié et le travail domestique et reproductif traditionnellement assuré par les femmes. Si la part du travail salarié a augmenté pour les femmes, elles assurent toujours la majeure partie du travail non salarié en plus. Il devient toujours plus fréquent qu’une partie de ce travail, dans les classes plus aisées, soit assurée par des femmes venant d’ailleurs, migrantes, sans papiers, à des conditions précaires et des très bas salaires. Face à cette situation, solidaritéS se doit de s’engager à deux niveaux, en collaboration avec d’autres acteurs:
- agir pour améliorer les conditions de travail et de salaire des femmes, travailleuses domestiques et dans le domaine du care
- s’engager à favoriser le développement de conditions qui permettent un meilleur partage du travail domestique et reproductif entre hommes et femmes.
11. Outre les questions économiques, l’exclusion des femmes de l’espace public demeure une question très actuelle. Ainsi, de par un aménagement urbain inadapté (notamment pas assez de toilettes publiques, trop peu d’éclairage en périphérie, une quasi inexistence des transports publics de nuit), des publicités sexistes qui tapissent les murs des villes, mais également des agressions multiples (harcèlement de rue, violences, etc.), la rue reste un espace hostile auquel les femmes n’ont pas accès au même titre que les hommes.
Ces violences que les femmes subissent dans l’espace public – leur rappelant qu’elles n’y sont pas les bienvenues – vont de pair avec une société promouvant la culture du viol, c’est-à-dire un système de pensée et de représentation banalisant, excusant, allant même parfois jusqu’à érotiser le viol.
En étant reléguées à l’espace privé, les femmes sont donc soumises à une injonction d’invisibilisation. solidaritéS prête une attention particulière tant aux dynamiques matérielles qui tendent à l’exclusion des femmes, qu’aux représentations patriarcales qui fondent cette exclusion.