Cinema

Cinema : Jura, enracinés à leur terre

Daniel Künzi, cinéaste originaire du Jura, nous offre un film d’une grande sensibilité sur le monde paysan. Pendant un peu plus d’un an, Daniel choisit de suivre trois familles jurassiennes.

[…] A leur façon, ces familles témoignent des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, mais aussi de leur fierté d’être paysan·ne·s et de cultiver la terre avec amour et respect tout en exprimant leurs espoirs d’un certain nombre de changements urgents pour que la paysannerie reprenne la main sur ses systèmes de production.

Rompre avec l’agrobusiness

Walter, issu d’une famille nombreuse, est un ancien «enfant placé» qui a traversé la dure vie du travail à la ferme. Il s’installe adulte sur les flancs des Côtes du Doux et devient apiculteur. Il nous raconte que le climat a bien changé ; si à l’époque les hivers étaient plus rudes, cela évitait bien des maladies aux plantes. Le réchauffement actuel déséquilibre l’écosystème ce qui n’est pas sans conséquences pour la vie des abeilles qui subissent de surcroît les effets des épandages d’insecticides même quand ceux-ci sont effectués bien loin de la ferme mais s’infiltrent dans les eaux et la flore environnante du Doux.

Isabelle, enseignante et Paul, horloger, se sont lancés dans l’agriculture il y a 20 ans. Sur une petite ferme diversifiée du Jura bernois ils s’essaient entre autres à la traction animale pour réduire l’impact des machines sur les sols. Loin de s’accrocher à une vision folklorique de la production, leur démarche vise à s’affranchir autant que possible d’une trop forte mécanisation et industrialisation des systèmes agricoles et alimentaires. Pour eux, l’industrie alimentaire cherche à s’infiltrer par tous les pores de la ferme: par catalogues interposés, par vente d’engrais, de machines toujours plus puissantes ou de pesticides en tout genre.

Vers une réelle souveraineté aimentaire

Pour ce couple, il est indispensable de repenser notre rapport à l’agriculture. Pendant des siècles, l’agriculture a évolué au gré des avancées techniques, mais toujours à un rythme bien contrôlé dans lequel le paysan ne devenait pas esclave de la mécanisation, mais l’utilisait pour alléger les lourdes tâches physiques. Ce rythme a été rompu par le «pillage du monde paysan par l’industrie» et par une aliénation de toute la chaîne de production qui ne vit que grâce à l’utilisation d’intrants ayant pour but de rééquilibrer un système que nous avons, nous-mêmes, déséquilibré. Pour Paul, «un minimum d’analyse du monde actuel prouve que nous n’avons plus d’éthique ; nous vivons en siphonnant le reste du monde et en détruisant nos ressources naturelles». Comme le dit Paul: «Le sol peut donner tout ce dont on a besoin, pour autant qu’on le respecte et qu’on l’enrichisse au besoin en engrais naturels pour compenser ce qu’on a prélevé».

Il y a donc nécessité de vivre à nouveau en harmonie avec la nature et à retrouver une souveraineté alimentaire qui consiste à produire en fonction des capacités de nos ressources naturelles et dans un cadre de marchés régulés, comme cela a toujours été le cas depuis l’Antiquité.

La croisée des chemins…

Christine et Clément, producteurs de lait pour le fameux fromage Tête de Moine, sont parents de quatre enfants. Ils se trouvent à une croisée des chemins. Pour poursuivre la production laitière, ils doivent rénover l’étable. Un projet qui sera lourd de conséquences financières, mais qui est presque imposé pour soulager Clément qui souffre d’une maladie pulmonaire typique du métier de paysan. Maladie professionnelle qui bien sûr ne se transforme pas en «arrêt maladie» qui leur permettrait d’engager une aide à la ferme.

Christine se questionne sur ces enjeux, mais aussi sur leur attitude en tant que producteurs face aux acheteurs de lait et la Confédération. Comment se fait-il que les paysans n’arrivent pas à imposer leur point de vue? Quels sont les mécanismes qui font qu’ils ont tendance à ne pas se révolter lorsque certains acteurs prennent des décisions ou tiennent des discours qu’ils jugent inacceptables? Après plus de 15 ans en bio, leur grande fierté est d’avoir réussi à rendre leur sol à nouveau vivant ; un résultat qui leur permet, malgré une année de forte sécheresse, d’obtenir un excellent rendement dans les pommes de terre. Le sol a puisé dans ses réserves et a offert le meilleur de lui-même.

Enracinés à leur terre, droits dans leurs bottes, mais bien conscients du monde qui les entoure et des enjeux actuels et à venir, philosophes et éclairés, Isabelle, Paul, Christine, Clément et Walter trouvent le ton juste pour s’adresser au grand public entre questionnements et espoirs.

Valentina Hemmeler Maïga *

* Article publié le 20.12.16 par le syndicat paysan Uniterre, coupe & intertitres de notre rédaction.

Projections: voir agenda p. 20