De quoi Donald Trump est-il le nom?


Lori Tiede

«Dans le match du siècle entre socialisme et barbarie, la seconde a pris quelques longueurs d’avance», écrivait Daniel Bensaïd en 1991. Vingt-six ans plus tard, en ce début du 21e siècle, ce diagnostic se confirme dangereusement. Même si la prudence s’impose pour qualifier à chaud ce qui se déroule sous nos yeux et ce qui nous attend, on ne peut néanmoins s’empêcher d’éprouver une inquiétude légitime à voir s’installer au pouvoir aux USA des créationnistes (Mike Pence, vice-président), des négationnistes du réchauffement climatique qui financent ouvertement des agences de désinformation (Rex Tillerson, secrétaire d’Etat), des croisés de la lutte anti-avortement (Tom Price, secrétaire à la santé), des suprématistes blancs, racistes, antisémites et homophobes (Steve Bannon, à la tête du site d’extrême droite Breitbart, aujourd’hui au Conseil de sécurité nationale).

Et pourtant, les secteurs dominants de la grande bourgeoisie US n’avaient-ils pas mis le paquet pour s’opposer à la désignation de Trump comme candidat républicain ou pour garantir l’élection de Hillary Clinton? Rappelons aussi le soutien financier des grandes compagnies de l’économie numérique, du High Tech, de la banque, des assurances et de l’immobilier au Parti démocrate, qui en fait aujourd’hui le parti de Wall Street. Il n’est donc pas surprenant que les près de 500 comtés dominés par la candidate démocrate comptent pour 64% du produit intérieur brut (PIB) actuel des Etats-Unis, alors que les plus de 2600 comtés emportés par Trump ne représentent que 36% du PIB du pays, sur de vastes territoires où prédominent des grands fermiers, des petits industriels et banquiers et des églises conservatrices. Que signifie donc cet échec politique des grands manitous de l’économie US?

On a beaucoup dit  que la base électorale de Donald Trump reposait largement sur un électorat ouvrier blanc, séduit par son appel au nationalisme économique et au racisme ordinaire. Le phénomène est certes bien réel, mais il concerne surtout les territoires touchés récemment par des fermetures d’entreprises en chaîne, dans le contexte d’un afflux de migrant·e·s et de réfugié·e·s, installés dans des régions où les coûts du logement sont moins élevés. Ce phénomène peut expliquer le basculement de quelques centaines de milliers de personnes et non de quelques millions. En réalité, les classes populaires ont manifesté leur rejet de Hillary Clinton, plus que leur adhésion au candidat républicain, en s’abstenant ou en votant Trump sans illusions. Et ce sont des militant·e·s des classes moyennes qui ont porté la campagne de Trump à bout de bras. Ainsi, aujourd’hui les Alt-Right (droite alternative adhérant à des idéologies d’extrême droite) de Steve Bannon tentent de sortir des zones semi-rurales traditionnelles du suprématisme blanc pour recruter leurs membres dans les classes moyennes aisées des villes. Un effort qui vise à renforcer l’assise sociale du nouveau gouvernement.

Que nous réserve l’avenir?  Donald Trump est l’un des symptômes de la crise profonde que traverse le capitalisme depuis 2008. Son gouvernement est l’expression politique d’un phénomène systémique. Bien sûr, des secteurs dominants de la bourgeoisie états-unienne combattent les politiques les plus aventuristes du nouveau président (le symptôme), mais ils n’ont pas de réponses à la maladie qu’ils ont eux-mêmes suscitée et qu’ils ne peuvent qu’entretenir. Le succès de Trump s’est en effet construit sous la présidence d’Obama, avec la poursuite du déclin économique et social de régions entières, la répression du mouvement Occupy, le meurtre de centaines de noirs par la police, la déportation de 2,5 millions de migrant·e·s, etc.

Le capitalisme, comme l’a rappelé récemment Daniel Tanuro, est marqué par la «contradiction croissante entre la rationalité partielle des entreprises et l’irrationalité globale du système», qui atteint aujourd’hui des «limites infranchissables» sur les plans économique comme écologique (François Chesnais, Inprecor, novembre 2016). L’avenir d’un capitalisme qui ne trouve pas de solution à sa propre crise pourrait bien ouvrir grand la porte à la barbarie, avec les risques croissants de conflits armés de grande envergure qui la caractérise.

Les menaces de guerre commerciale avec la Chine, agitées aujourd’hui par Donald Trump, ne laissent évidemment rien présager de bon, tout comme le succès croissant des forces nationalistes et populistes européennes. Ainsi, le 22 janvier dernier, les leaders de la droite radicale du Vieux Continent, réunis à Coblence pour célébrer la victoire de Donald Trump, se félicitaient d’un «printemps patriotique» et envisageaient très sérieusement d’arriver au pouvoir dans chacun de leur pays respectif en 2017.

«Socialisme ou barbarie»: nous sommes à la croisée des chemins, et c’est sans doute le principal message dont le formidable mouvement de résistance engagé aux Etats-Unis est porteur.

Stefanie Prezioso