Grèce

Un pas en avant, deux pas en arrière

Cela fait deux ans que Syriza et Tsipras sont au pouvoir et pourtant les promesses de réalisation des revendications du mouvement semblent toujours plus lointaines. En juin 2015, juste après le référendum, des milliers de militant·e·s se sont interrogés sur sa capitulation, mais les analyses en restaient à la conjoncture et aux mauvaises manœuvres. Après les élections de septembre 2015, marquées par le renouveau du mandat de Syriza, les critiques se sont accentuées. Aujourd’hui, le fait que la capitulation ne s’est pas jouée en juin 2015 est un lieu commun. Mais que s’est-il passé?


Dimitris Alexakis

Mutation ou défaite stratégique?

Les deux courants d’opposition qui existaient au sein de Syriza, la Majorité Présidentielle (MP) et la Plateforme de Gauche (PG) ont tiré des analyses différentes. La MP a parlé d’une mutation survenue sous la pression du gouvernementalisme de la période 2012 – 2015. Le rôle de l’opposition était selon elle d’exploiter les points faibles pour renverser cette tendance. En réalité, les espoirs de milliers de militant·e·s ont été sacrifiés aux besoins du «développement capitaliste national» dans le cadre d’une «maturation violente», selon la célèbre formule de Dragasakis, main droite de Tsipras, et la politique de la MP y a fortement contribué. Sa ligne «aucun sacrifice pour l’euro, aucune illusion pour la drachme» donnait du grain à moudre à la direction qui voulait éviter le conflit avec l’UE. L’insistance, en soi correcte, sur les questions de classe et de perspective internationaliste contre le repli nationaliste autour de la drachme, est devenue ainsi une couverture pour l’acceptation du cadre de l’UE, qui était à ce moment la seule ligne défensive de la bourgeoisie grecque.

Dans ce sens, la PG semblait, contrairement à la MP, prête au conflit avec l’UE. Ses membres, comme Stathis Kouvelakis, soutenaient que l’effacement unilatéral de la dette, que Tsipras allait décréter, provoquerait une réaction forte de la part de l’UE qui, à son tour, et avec la pression parallèle d’un mouvement populaire, obligerait Tsipras à dépasser son horizon politique et stratégique et à faire le choix de la rupture. Le jour J n’est jamais venu mais, pis encore, afin d’arriver au pouvoir et donc à ce moment de rupture « forcée », la PG a souvent choisi de fermer les yeux face aux compromis de la direction entre 2012 – 2014. Le nadir de cette tactique a été le lâchage de la grève des enseignant·e·s en 2013.

Une stratégie nouvelle?

Syriza est arrivé au pouvoir parce qu’il a pu exprimer la radicalisation des années 2000 – 2010 en Grèce. Nonobstant cela, sur les questions stratégiques et en comparaison avec les partis réformistes traditionnels, le soi-disant tournant à gauche de Tsipras, n’a pas donné de réponses différentes.

L’acceptation de l’Etat bourgeois comme un outil pouvant être utilisé pour les intérêts du peuple après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche, la primauté de la nation contre les intérêts de classe, l’acceptation du cadre impérialiste de l’UE avec quelques petites critiques et l’adieu à la centralité de la classe ouvrière au nom des fronts plus larges et trans-classe, ont conduit aux compromis et aux conséquences sociales que l’on voit aujourd’hui ; la nouvelle capitulation de la semaine passée signifiera une nouvelle baisse pour 1 400 000 retraites, une diminution du revenu minimum imposable et un relâchement supplémentaire du cadre des licenciements collectifs.

Résister au présent-lutter pour l’avenir

La réalité que vivent les salarié·e·s grecs ne peut pas s’expliquer par des chiffres. La plupart vient de passer un hiver froid sans chauffage. Dans les hôpitaux, les médecins donnent corps et âme pour soigner des patient·e·s qui attendent pendant des jours, et les retraité·e·s hébergent et nourrissent souvent leurs enfants et leurs familles avec pour seul revenu leur propre retraite.

Les ennemis de la gauche utilisent l’échec de Syriza pour diffamer tout projet politique de gauche. Cependant, le mouvement ouvrier continue à lutter indépendamment – et maintenant contre – le gouvernement Syriza. La Grèce est un pays où un gouvernement de la gauche radicale a pris le pouvoir. Mais c’est aussi un pays où l’opposition de gauche à ce gouvernement est une force sociale et politique réelle. En tirant les bonnes conclusions de cette expérience, on peut toutes et tous œuvrer pour une gauche anticapitaliste digne des mouvements qui viendront, en Grèce et ailleurs.

Dimitris Daskalakis