Grande-Bretagne

Grande-Bretagne : Vers la fin de May en juin?

En profitant des bons sondages et d’un chef de l’opposition travailliste de gauche en butte aux attaques des medias, comme de l’appareil et de la droite de son propre parti, la Première ministre britannique a décidé, il y a quelques semaines, d’une élection surprise visant à consolider sa majorité parlementaire fragile.


Cressida Knapp

Axée sur sa propre personnalité, vendue comme celle d’une dirigeante «forte», incarnant la stabilité et capable de mener à bien les négociations du Brexit, sa position s’est matérialisée dans la campagne par une posture arrogante et de refus du débat politique…

Une dame de fer en carton-pâte

En politique sociale, May a défendu une austérité renforcée, avec comme symbole sa dementia tax, une taxe «sur la démence sénile», comme l’ont qualifié ses adversaires, une mesure pour faire payer massivement les soins dans la durée des victimes de démence.

Mais face à l’impopularité de cette mesure, May a été contrainte, en quelques jours, à un virage à 180 degrés sur le sujet, mettant à mal l’image d’inflexibilité qu’elle cultive. Elle prône bien sûr aussi de nombreuses autres mesures impopulaires, allant des coupes dans les allocations chauffage pour personnes âgées à la promesse d’un vote sur le retour de la chasse à courre…

May comptait sur une vague de soutien électoral. Mais, fin mai, des sondages mettaient le Labour de Corbyn à 4 ou 5 points derrière les conservateurs seulement, alors que l’écart avait été à un moment de l’ordre de 24 points.

Cette remontée serait notamment l’effet d’un engagement accru des jeunes et de non-votant·e·s dans les précédentes élections. En effet, le manifeste électoral et les propositions politiques successives de Corbyn semblent convaincre chaque jour plus d’électeurs·trices.

Un programme anti-austérité clair

Ses propositions politiques incluent, en vrac, une hausse du salaire minimum à 10 livres de l’heure, la renationalisation du rail, de la poste, de la distribution d’eau, et d’une partie du secteur de l’énergie ; de plus fortes taxes sur les riches et les bénéfices des entreprises ; l’abolition des lois antisyndicales mises en place par les conservateurs, un renforcement radical des droits des travailleurs·euses, la fin du travail précaire, la lutte contre les inégalités salariales ; 4 nouveaux jours fériés reflétant la diversité nationale du Royaume-Uni, la fin du gel des salaires dans le secteur public, une revalorisation salariale du personnel de la santé, la fin de la privatisation rampante du service national de santé (NHS) ; un plafonnement des salaires des hauts cadres dans le secteur public et des entreprises sous contrat public, l’annulation de coupes dans l’éducation à hauteur de 3 milliards, des repas scolaires gratuits, la suppression des taxes universitaires, l’augmentation des allocations pour soins de proches ; l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste, la construction d’un million de logements, une législation de défense des locataires, l’arrêt de la vente d’armes aux régimes répressifs, etc. Concernant le Brexit, une déclaration unilatérale du droit de rester des immigré·e·s de l’UE, le vote d’une loi préservant les droits potentiellement perdus par la sortie de l’UE…

Bref, c’est un programme électoral qui rompt clairement avec les politiques travaillistes néolibérales et crypto-conservatrices qui ne se distinguaient que de manière cosmétique du programme du parti de Margaret Thatcher.

Vers le renversement des conservateurs?

Corbyn lui-même se situe à gauche des positions adoptées par le parti, avec notamment sa défense par exemple d’un réexamen de la politique d’armement nucléaire de la Grande Bretagne. Bien sûr, ce programme a de gros manques, pas de réforme électorale instituant la représentation proportionnelle et liquidant un système grossièrement anti-démocratique d’élections majoritaires à un tour par circonscription, maintien d’une position unioniste par rapport à l’Ecosse, etc.

Mais ce programme se présente indéniablement comme une alternative radicale à l’austérité et il gagne des partisan·e·s chaque jour. Ainsi, il rend imaginable de voir Theresa May et ses conservateurs battus dans les urnes ce 8 juin et virée de son poste à la tête du gouvernement, ce qui galvanise évidemment l’opposition.

Il n’y aura aucune majorité travailliste possible à l’échelle du Royaume-Uni à l’issue de ces élections, mais un gouvernement Corbyn des travaillistes soutenus par les nationalistes écossais du SNP, les gallois de Plaid Cymru, les Verts, et d’autres formations est désormais un horizon possible.

Une bataille électorale de grande envergure est donc engagée, contre un parti conservateur qui est l’expression arrogante et concentrée des intérêts du capitalisme financier britannique.

Evidemment, si Corbyn arrivait au gouvernement sa situation serait particulièrement difficile, il n’existe en effet pas aujourd’hui un mouvement social capable de lui permettre de mener ne serait-ce qu’une bonne partie des réformes qu’il propose, encore moins d’imposer le «modèle social» qu’il dessine d’un basculement vers une économie productive de haute technologie, tournant le dos à la spéculation et à la finance, plus redistributive, plus juste, plus démocratique… mais sans rupture avec le capitalisme.

L’opposition implacable du grand capital à ces projets se traduirait par une résistance frénétique, avec des moyens humains et financiers quasi illimités. Une guerre à gagner par les classes populaires qui demande des ressources politiques, idéologiques et organisationnelles qui font défaut aujourd’hui. Mais, c’est dans le feu des batailles politiques, comme celle en cours, que peuvent et doivent se forger ces ressources et se dessiner l’horizon du socialisme que nous voulons.

Pierre Vanek