PV 2020 dans un contexte de taux bas

L’étude que le Crédit Suisse a publiée dernièrement (mai 2017) nous permet non seulement de mesurer la manière dont les personnes impliquées dans la gestion du 2e pilier perçoivent les défis que les caisses de pension doivent affronter, mais également d’entrevoir les prochaines batailles qui se produiront inévitablement, qu’il y ait votation ou non en septembre de cette année sur le projet PV 2020.


Les rendements des marchés financiers ne sont plus aussi élevés que lors de l’introduction de la LPP – Rafael Matsunaga

Les conclusions de l’étude sont sans appel: le taux de conversion serait bien trop haut (il devrait «idéalement» se situer autour de 5 % au lieu des 6,8 % actuels) et la démographie pousserait les institutions de prévoyance à «trop redistribuer» des rentes au détriment des assuré·e·s actifs. Selon le Crédit Suisse, le 2e pilier s’écarterait donc de son but initial – à savoir le principe de capitalisation – pour le faire basculer vers un système se rapprochant de celui de l’AVS, qui est par répartition des dépenses.

Les «souhaits» des acteurs du 2e pilier

L’étude, qui n’en est pas à une contradiction près, relaie les «souhaits» des acteurs du 2e pilier. Elle estime ainsi que l’intervention politique devrait être plus poussée suite au compromis résultant de PV 2020 (car il ne s’agit «que d’un pas dans la bonne direction»), en revendiquant tout particulièrement une «dépolitisation» de deux paramètres, comme la fixation du taux de conversion minimal et le mode de calcul du taux technique (actuellement de 2,25 %) et en remettant en cause la DTA 4 (directive technique 4, publiée chaque année par la chambre suisse des experts en caisses de pension). Cette dernière, au grand dam des gestionnaires du 2e pilier et de leurs alliés du monde de la finance, ne tiendrait pas suffisamment compte de l’environnement du marché et des taux anémiques de ces dernières années.

Sur ce dernier point, a priori anodin, se joue en réalité l’avenir du 2e pilier. Sans entrer dans des détails fastidieux, il convient de rappeler dans les grandes lignes que la formule de la fixation de ce taux (technique), en vigueur depuis le 1er janvier 2012, tient compte de la performance moyenne des vingt dernières années et du rendement actuel des obligations de la Confédération à 10 ans, avec une marge de sécurité de 0,5 %. Ce taux, appelé «technique» à tort, est fondamental dans le mécanisme de capitalisation, puisqu’il est censé déterminer les attentes de rendement à court et moyen terme (soit un horizon de cinq ans).

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant d’observer la volonté d’une partie importante de la classe politique et des acteurs du 2e pilier de «dépolitiser» la fixation de ce taux, puisque cela reviendrait à laisser davantage de latitude aux institutions de prévoyance (en premier lieu les banques et les assurances qui gèrent des fonds de prévoyance de manière importante) pour baisser encore davantage le taux de conversion, et par conséquent les montants des rentes futures.

Vers une décrédibilisation du 2e pilier

Ce constat est partagé dans l’ensemble, même si des voix critiques s’élèvent au sein des milieux concernés. Celles-ci soulignent le paradoxe qui découlerait de cette dépolitisation de la fixation du taux technique. En effet, si l’on baisse ce taux (et par ricochet, le taux de conversion) à quoi servirait une épargne forcée alimentant un 2e pilier ne permettant plus la capitalisation (autrement connu sous l’expression du troisième cotisant) et qui se rapprocherait d’un système tel que l’AVS (mais nettement moins solidaire)?

Lors de la création du 2e pilier, une situation économique présentant des taux bas – qui flirtent avec un niveau proche de zéro durant de nombreuses années – n’était pas envisageable dans les courants théoriques majoritaires en économie. Etant donné que les taux de rendement se situent bien en-deçà du taux historique généralement attendu (soit en moyenne entre 4 % et 6 % selon les données fournies par Piketty dans son ouvrage Le Capital), des craquements doivent forcément remettre en question le processus de reproduction du capital.

Ainsi, cet environnement de taux bas, conjugué avec l’utilisation biaisée de tables de mortalité qui ne tiennent pas compte des différences entre les classes socio-professionnelles (comme l’a pu le relever l’étude marquante de l’OCIRT en mars 2000), ne va qu’amplifier la décrédibilisation progressive du 2e, pilier au grand dam de ses défenseurs. Ces derniers, attelés à baisser les rentes, persistent pourtant à revendiquer avec un aplomb remarquable une politique partisane pour leurs intérêts et un débat dépolitisé lorsqu’il s’agit de l’avenir de la prévoyance pour la population laborieuse de ce pays.

Dario Chiaradonna