Venezuela

Venezuela : Soulèvement populaire ou coup d'État réactionnaire?

Notre rédaction s’est entretenue avec Jean Batou pour tenter de décrypter les événements en cours au Venezuela. Depuis le 1er avril, la répression des manifestations contre le gouvernement de Nicolas Maduro s’est soldée par 56 morts, dont 3 membres des forces de l’ordre et un millier de blessé·e·s (selon les chiffres officiels du parquet au 24 mai).


Richard Gonzalez

Peux-tu resituer la crise actuelle au Venezuela dans son contexte international?

On ne peut comprendre cette crise sans rappeler tout d’abord que ce pays subit des pressions étrangères, économiques et politiques, colossales. Depuis longtemps ses énormes richesses naturelles éveillent les convoitises! De surcroît, l’engagement de Chávez en faveur d’une opposition latino-­américaine au «consensus de Washington» lui a valu une hostilité sans borne des Etats-Unis. Son successeur, sans disposer de sa popularité, a dû faire face à une escalade de la guerre diplomatique US dans un contexte économique difficile, en particulier depuis 2014. En mars 2015, Obama incitait ainsi clairement l’opposition de droite à renverser le président élu en désignant le Venezuela comme «une menace extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des USA». Plus explicite encore, en avril dernier, l’amiral Kurt W. Tidd, chef du Commandement Sud, déclarait que «La crise humanitaire croissante pourrait imposer une réponse régionale au Venezuela».

Comment en est-on arrivé là?

De 1999 à 2013, Chávez avait réussi à mener une politique sociale ambitieuse très populaire. Toutefois celle-ci était financée par la rente pétrolière sans remettre vraiment en cause la répartition très inégale de la propriété ni mener une politique de substitution des importations. Il n’est donc pas parvenu à réduire la dépendance du pays à l’égard des hydrocarbures, bien au contraire. Acculé par l’effondrement des cours du brut, son successeur a fait des concessions croissantes aux milieux patronaux et aux multinationales, accroissant encore le poids du secteur extractiviste (mégaprojet de l’Arc minier de l’Orénoque).

Tout cela s’est fait aux dépens de la majorité la plus pauvre de la population, qui subit une inflation galopante, une pénurie de biens essentiels et les affres du marché noir. La crise sanitaire est aujourd’hui particulièrement grave.

Que peut-on attendre de l’opposition, menée par Henrique Capriles?

Henrique Capriles, gouverneur de l’Etat de Miranda, est issu de l’une des plus riches familles du pays. La plateforme d’unité démocratique (MUD) qu’il dirige rassemble une vingtaine de partis. Il ne s’agit pas d’un mouvement politique homogène, puisqu’il regroupe des secteurs qui vont de l’extrême droite à la droite libérale, mais il ne fait guère de doute qu’il entend approfondir le volet néolibéral des politiques du gouvernement actuel, avec des objectifs plus élevés encore en matière d’exploitation pétrolière et minière. On ne peut donc en attendre que la fin définitive des programme sociaux chavistes et le durcissement des politiques les plus impopulaires portées aujourd’hui par Maduro.

Après son succès aux élections législatives de décembre 2015, il a annoncé haut et fort son but de chasser le président élu par tous les moyens, n’hésitant pas à favoriser, avec l’aide d’une bonne partie des milieux patronaux, la déstabilisation économique du pays.

La droite dénonce la «dictature» de Maduro. Que faut-il en penser?

Depuis l’arrivée au pouvoir de Chávez en 1999, l’opposition a dénoncé une dictature au Venezuela. En réalité, les principaux médias ont toujours été contrôlés par elle, et le parlement est aux mains de la droite depuis un an et demi. Il est vrai que le président tente de s’appuyer sur la Cour suprême et sur le Tribunal suprême de justice (TSJ) pour retoquer les projets de loi de l’opposition, et qu’il a pu compter sur le Conseil national électoral (CNE) pour suspendre l’organisation d’un référendum révocatoire. Il dispose du soutien de l’armée et de certains secteurs clés de l’appareil d’Etat… Mais surtout, à mesure qu’il perd sa légitimité auprès des secteurs les plus pauvres de la population, Maduro renforce les traits autoritaires et répressifs de son régime, dans une situation de paralysie des principales forces en présence et de multiplication des contre-pouvoirs locaux.

Le Venezuela connaît-il une sorte de «printemps arabe»?

La situation est bien différente. Caracas a vécu un «printemps arabe» avant l’heure en 1989, avec l’un des premiers grands soulèvements populaires contre les politiques néolibérales, dont la répression a fait 2000 à 3000 morts. C’est de cette expérience, qu’est né le mouvement bolivarien dans l’armée.

Aujourd’hui, les secteurs populaires qui descendent dans la rue contre la corruption et pour la satisfaction des besoins élémentaires (alimentation, soins, etc.) ne croient plus dans la capacité du gouvernement de répondre à leurs aspirations. Ils se retrouvent certes dans les manifestations avec des secteurs sociaux organisés par des mouvements de droite. Mais de là à penser qu’ils se reconnaissent largement dans l’opposition, ou qu’ils sont organisés par elle, il y a un pas à ne pas franchir…

Le pays traverse l’une des pires crises économiques de son histoire: peut-il s’en relever? A quel prix?

Le Venezuela paye cher l’épuisement d’un modèle économique fondé depuis des décennies sur le pétrole, qui favorise la dépendance à l’égard de l’extérieur et la corruption intérieure. Avec un taux d’urbanisation de 90 %, qui découle d’une réforme agraire bloquée (forte concentration des terres), et une industrialisation en déroute, il doit importer une grande part de ses biens de première nécessité. Toute alternative visant à satisfaire les besoins populaires suppose la mise en œuvre d’une véritable réforme agraire, la lutte contre l’emprise croissante des multinationales et pour l’industrialisation du pays, ainsi qu’un combat contre la corruption, qui passe par la défense des droits démocratiques et une extension du contrôle populaire.

Propos recueillis par notre rédaction