Eric Decarro n'est plus - Continuons son combat

Continuons son combat

 Notre camarade  et ami Eric Decarro est décédé vendredi après-midi, 4 août, à l’issue d’une pénible maladie à laquelle il a fait face avec un immense courage. Durant ces dernières années, il avait continué presque comme si de rien n’était à participer aux mobilisations et aux débats de la gauche combative en dépit de la dégradation de sa santé qui lui rendait de plus en plus difficile la prise de parole, lui qui avait tant à dire.


Devant le Consulat de France en 2001

Pour certains d’entre nous, il a été un compagnon de lutte depuis plusieurs dizaines d’années. Sans toujours être d’accord avec lui, nous respections ses positions, profondément réfléchies et argumentées, qu’il défendait avec rigueur, avec passion, sans jamais confondre désaccords avec conflits interpersonnels.

En 1992, il avait joué un rôle important dans la formation de solidaritéS, dont il a toujours été membre depuis lors, en s’efforçant d’être une conscience critique du mouvement, insistant, en particulier, sur la priorité du combat social sur le travail parlementaire.

Il faisait partie des militant·e·s dont la principale préoccupation est de stimuler les luttes collectives, en particulier syndicales, en cherchant à renforcer leur confiance en elles, quelle que soit leur issue momentanée. Plus que d’autres, il s’efforçait de comprendre les mutations du monde contemporain. Il ne cessait ainsi de répéter que le capitalisme entraînait aujourd’hui une dégradation inexorable des conditions sociales et environnementales à l’échelle planétaire et qu’il était urgent de redonner à notre résistance un horizon de rupture d’ensemble, internationaliste, avec ce système.

Sa voix va nous manquer cruellement, elle qui nous invitait souvent à remettre en cause nos orientations pour regarder au-delà, beaucoup plus loin… Nous ne lui rendrons donc véritablement hommage qu’en réussissant patiemment à développer une culture collective « radicale » (qui va à la racine des choses), en donnant notamment toute leur place aux débats de fond au sein de notre mouvement. Dans l’immédiat, nous pensons très fort aux siens et à ses ami·e·s les plus proches qui viennent de perdre un compagnon, un parent, un frère…

Merci à toi, Eric, pour tout ce que tu nous as donné.

solidaritéS Genève


Une cérémonie d’adieu à Eric Decarro a eu lieu le 6 août au centre funéraire de St-Georges à Genève. Malgré les vacances, des centaines de personnes y ont pris part. Nous reproduisons ici les interventions à cette occasion de deux camarades de lutte et proches amis d’Eric, Michel Bondi et Jean-Pierre Fioux, qui reviennent sur le parcours de notre camarade. A signaler aussi la prise de parole de Michela Bovolenta secrétaire centrale du syndicat SSP/VPOD et de Christian Tirefort, proche camarade de lutte, qui se retrouveront sous peu sur Internet.


Une vie engagée et bien remplie

Michel Bondi

Eric est né en 1940  dans une famille de militant·e·s du Parti du Travail, les communistes de Suisse. Son père était ouvrier à l’Usine à gaz, conseiller municipal à Chêne-Bourg. Sa mère tenait un minuscule salon de coiffure et était très active dans le mouvement des femmes pour la paix. Il est donc issu d’un milieu modeste, populaire, ouvrier et sportif dans la période de la « guerre froide ». Et à une époque où l’anticommunisme était virulent.

L’intervention d’un instituteur et la clairvoyance de sa mère, lui ont permis de faire des études secondaires. Et par la suite, des études universitaires en économie et sociologie grâce à la politique de démocratisation des études qui facilitait l’accès aux bourses.

Pendant sa jeunesse il a pratiqué assidument le football surtout dans la ligue du sport ouvrier, le « sport rouge », SATUS. Il s’est passionné ensuite pour la boule ferrée lyonnaise et a participé à de nombreuses compétitions. La pétanque a été un passe-temps durant les dernières années de sa vie.

A l’université, dans le milieu professionnel où en tant que citoyen Eric a toujours été engagé.

Actif dans le Mouvement démocratique des étudiants et ensuite dans l’Action syndicale Universitaire qui revendiquait le salaire étudiant dans les années 60. Employé par l’Etat de Genève au Service de l’Orientation professionnelle il a adhéré au syndicat de la fonction publique SSP-VPOD où il a assumé des responsabilités.

Eric a été membre du Parti du Travail, puis a participé aux mouvements politiques d’extrême gauche qui sont apparus après 68, comme plus tard à la fondation de solidariteS, et dans les années 2000 il a été un participant très actif au mouvement altermondialiste (Forum social mondial, Forum social européen et Forum social suisse).

Son activité militante a pris une grande partie de son temps et de son énergie car il travaillait sans cesse en lisant et écrivant énormément. Il s’est toujours efforcé de mener une réflexion approfondie, d’élaborer des orientations, d’alimenter et de participer au débat.

Il s’en est fallu de peu pour qu’il parte à Paris étudier le cinéma qui le passionnait. La philosophie était aussi un de ses grands centres d’intérêt. Il aimait la musique et l’art contemporains.

Eric et Marina se sont rencontrés sur les bancs de l’Université en sociologie. Ils ont vécu ensemble plus de 50 ans. Eric a pris soin de Malik et Karim, enfants d’un premier mariage de Marina et ensuite de Stéphane. Il était presque toujours impliqué et préoccupé par une thématique sociale ou politique, le syndicat, une grève, la crise, le G8, TISA, etc… mais dans les moments critiques, il a toujours été présent pour intervenir, protèger et soutenir avec force les enfants ou sa compagne. L’arrivée des petits enfants a été une grande joie. Il leur a offert de très nombreux livres et bandes dessinées dont la plupart provenaient de la Librairie du Boulevard.

Leur couple n’était pas un couple fusionnel, Eric et Marina avaient des activités indépendantes, mais ils ont partagé des convictions et des valeurs fortes sur le besoin de justice, sur le respect de la valeur du travail des femmes et des hommes, et sur la nécessité des transformations radicales de la société. Ensemble ils ont affronté et vaincu les difficultés familiales et politiques.

Eric aimait la vie, son plaisir était d’aller voir un beau film, partager un repas, boire un verre et parler avec les copains, ça lui a manqué pendant sa maladie. Malgré une lutte déterminée depuis 4 ans, Eric, épaulé et soutenu sans relâche par Marina, a été finalement vaincu par le cancer. Il est mort à son domicile comme il le souhaitait…


Eric, c’est pour moi plus de 45 ans d’amitiés et de combats partagés

Jean-Pierre Fioux

J’ai connu Eric  en arrivant à Genève en septembre 1971. Nous étions collègues de travail à l’Office d’Orientation et de Formation Professionnelle (OOFP). Très vite nous nous sommes retrouvés pour militer ensemble dans le syndicat des services publics SSP-VPOD.

Eric prendra une part active dans toutes les luttes de la fonction publique genevoise. On ne peut les citer toutes:

  • La mobilisation qui a permis la mise sur pied à la fin des années 70-80 d’une caisse de retraite fondée sur un système financier plus favorable aux salarié·e·s, avec un meilleur contrôle démocratique des salarié·e·s sur le fonctionnement des caisses de retraite,
  • Il a participé très activement dans les années 80 aux mouvements successifs de la fonction publique genevoise qui ont abouti à l’amélioration des conditions de travail avec l’obtention des 40 h et de la 5e semaine de vacances pour tous, à l’allongement du congé maternité aussi,
  • Sa présence, sa détermination et ses interventions dans le cadre de la grève des nettoyeurs des HUG en 1984 ont favorisé l’obtention d’un bon accord.
  • Il a également joué un rôle important durant les grèves de toute la fonction publique au début des années 90 contre les restrictions budgétaires et la dégradation des conditions de travail et des prestations.

Mais il a été présent sur bien d’autres fronts:

  • Il fut l’un des artisans de la mobilisation contre la venue de Le Pen à Genève, en 1985, de la victoire du référendum national contre la diminution des indemnités de chômage en 1997 et contre la libéralisation du marché de l’électricté (LME) quelques années plus tard.
  • Et à partir des années 2000, il s’est engagé dans le mouvement altermondialiste.

Tout au long de sa vie de militant il a été porté par des convictions fortes auxquelles il restera fidèle jusqu’au bout. Il a toujours été porté par une volonté constante de lutter contre les injustices sociales et les inégalités et de travailler à un autre monde possible en rupture avec le système capitaliste à l’origine de ces injustices et de ces inégalités.

Il a mis toute son énergie pour donner confiance en leur force collective, aux femmes et aux hommes en lutte pour se libérer des rapports de domination, pour se faire respecter dans leurs droits, refuser l’ordre des choses présenté par les dominants comme naturel et inéluctable, ne pas céder au défaitisme.

Dans ce combat, il n’a pas fui les responsabilités. Eric n’avait aucun goût pour l’ambition personnelle. Mais il sera successivement président du SSP-Genève (1978–1982), président de l’Union des Syndicats du Canton de Geenève (USCG) (1986–1990), puis président national SSP/VPOD (1995–2003). Il participera également à mes côtés, pendant de nombreuses années, au comité du Cartel intersyndical de l’Etat.

Chacune et chacun a eu l’occasion de côtoyer Eric dans des réunions, des manifestations, des grèves.

Toutes et tous ont pu vérifier à cette occasion, sa détermination, sa capacité d’analyse des situations, la pertinence de ses interventions. Celles-ci étaient très écoutées et contribuaient toujours à faire avancer la discussion.

Eric c’était aussi un homme d’une très grande sensibilité, très à l’écoute et très attentif à l’autre. Il a fait preuve d’une volonté constante de rassembler et de s’en tenir au débat de fond en excluant les attaques personnelles. C’était aussi un homme très fiable, sur qui nous pouvions compter, qui ne s’est jamais dérobé.

Il a dû pourtant affronter sans jamais rien céder, beaucoup d’attaques personnelles dans sa vie professionnelle, dans son engagement politique et dans le champ médiatique.

Eric s’est battu jusqu’au bout contre la maladie, mais aussi pour la liberté d’expression le droit de tracter, le droit de manifester.

A la mi-juin 2017, il a été encore acquitté de l’accusation de troubles à l’ordre public pour rassemblement non autorisé devant l’ambassade d’Australie, en protestation contre les discussions sur TISA. Le procureur a fait recours. Mais il va devoir s’incliner devant la mort d’Eric et renoncer à son acharnement judiciaire.

Alors qu’il était déjà gravement atteint dans sa santé, il a accepté de conduire une médiation au sein du SSP Genève pour aider à surmonter des tensions internes et favoriser le rassemblement des membres toutes tendances, origines et groupes professionnels confondus, en cette période de confrontation sociale violente.

Il est temps de prendre congé.

Finies nos discussions autour de textes et de tracts à relire, reprendre, pour les rendre le plus percutant et convaincant possible.

Finis nos échanges quand nous rentrions à pied, à l’issue d’une réunion, au 2 Du-Bois-Melly, puisque nous habitions le même immeuble.

Tu vas me manquer, tu vas nous manquer.

Tu étais une belle personne.

Mes plus affectueuses pensées vont aussi à toi Marina et à toute la famille.

Adieu Eric.

Sur les chemins de l’amitié, des luttes, de la vie, nous serons toujours ensemble.


Decarro au bistro’psy: 1968, avant et après…

Depuis juin 2008, des « bistro’psy » ont rassemblé au Café Gervaise à Genève des militant·e·s de la mouvance de 1968, toujours actifs·ves dans la contestation de l’ordre établi, ceci pour raconter comment ils·elles avaient vécu « 1968, et après… » Eric en a été et nous mettons en ligne sur le site du journal la retranscription de son récit qui vaut le détour.

Au passage, via l’index de nos auteur·e·s, on retrouvera les 31 articles qu’Eric Decarro a contribué de 2001 à 2016 à notre bimensuel.

www.solidarites.ch/journal/d/artauteur/102