Corée du Nord

Corée du Nord : Les Tigres, L'Aigle et le Nucléaire

A l’heure où cet article est rédigé, la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) a procédé à son 6e essai nucléaire (3 septembre 2017). Le cycle infernal de provocations et contre-provocations annonce-t-il comme seule issue une guerre nucléaire?

L’accélération  de la militarisation est réelle en Asie de l’Est. Avec le budget militaire de la RPDC en 2016 estimé entre 1,2 et 10 milliards de dollars, un coup d’œil au tableau (cf. encart) démontre sa position de faiblesse militaire depuis des décennies. N’importe qui pourrait reconnaître l’asymétrie des dépenses militaires. L’armement nucléaire est une réponse à celle-ci depuis l’effondrement de partenaires dissuasifs, l’URSS et la Chine.

La dialectique de l’asymétrie

Davantage que de la folie, c’est une logique économique de survie qui sous-tend le programme nucléaire nord-coréen depuis 30 ans.

Impératif sécuritaire, c’est une garantie de son indépendance au milieu d’Etats qui disposent, directement ou indirectement, de capacités de guerre nucléaire. Le programme nucléaire a remplacé l’armée pour garantir l’absence d’interventions étrangères.

Il est aussi un pivot dans la mutation du système économique socialiste. Ses coûts sont estimés 2 à 3 fois moins élevés que l’armée. Cela laisse supposer qu’une réallocation de ressources militaires à l’économie civile accompagne les réformes économiques et agricoles libérales engagées depuis 2011–2012. Les priorités de la politique du Byungjin, prônée par Kim Jong-Un depuis 2013 et validée par le Congrès du Parti en 2016, sont la modernisation (lire libéralisation contrôlée) de l’économie et l’armement nucléaire. Depuis 30 ans, la RPDC énonce les mêmes conditions principales pour sa dénucléarisation: une garantie de non-agression des Etats-Unis, une indépendance économique et une aide énergétique pour compenser l’arrêt des réacteurs nucléaires. L’histoire des négociations nucléaires ne peut pas en dire autant de Washington ou Séoul, sans vouloir nier la part de responsabilité de Pyongyang.

Apocalypse nucléaire et consécration libérale

Et si la RPDC ne cherchait pas tant à se distancer qu’à s’adapter, voire intégrer durablement le système économique mondial?

Les avancées nucléaires de ces dernières années et la santé croissante de son économie depuis 1999 laissent penser que la panoplie de sanctions commerciales et financières imposées à cet Etat depuis des décennies, surtout depuis l’essai nucléaire en 2006, ne remplissent pas leur objectif: + 3,9% de croissance, + 4,7% d’échanges commerciaux en 2016 selon la banque centrale sud-coréenne.

Nous devons nous opposer à toute résolution militaire de la crise nucléaire. Les armées conventionnelles massivement stationnées des deux côtés de la péninsule peuvent réduire à néant les villes et les 75 millions de vies coréennes. Les implications certaines de la Chine et de la Russie dans le conflit n’auraient pour conséquence que d’assurer le déclenchement d’un conflit mondial. Nous devons nous opposer à toute stratégie de sanctions unilatérales. Chaque embargo, chaque limitation d’aide alimentaire étrangle avant tout la population et renforce l’esprit « d’état de siège » qui alimente l’autoritarisme avec lequel règne Kim. Les sanctions n’atteignent pas leur objectif mais enveniment davantage la crise.

Réunification anti-nucléaire

La crise nucléaire est une conséquence de la division durable de la Corée et du climat de guerre perpétuelle. Résoudre cette crise implique de se pencher sur les obstacles de la réunification.

Une clé du problème se trouve aussi à Séoul et à Washington. Les parties prenantes doivent réengager une stratégie d’efforts mutuels: des négociations sans préconditions. Moon, président sud-coréen récemment élu, ne souhaite pas faire cavalier seul malgré sa volonté d’appel au calme. Washington doit renoncer à ses provocations militaires et politiques. Seuls des efforts simultanés et négociés peuvent garantir le respect des termes d’une dénucléarisation et d’un désarmement mutuel de la péninsule. Washington doit être prêt à négocier le retrait de ses troupes et garantir un pacte de non-agression. De fait, l’obstacle majeur à un processus de réunification serait levé. Elle seule permettrait de résoudre durablement la crise nucléaire.

Accès à l’information et anti-impérialisme

La résolution pacifique de la problématique nucléaire coréenne est un objectif de lutte anti-impérialiste et anticapitaliste. Le commerce de guerre, la politique de sanctions et les provocations militaires et nucléaires constituent un obstacle aux luttes contre les autoritarismes, pour la paix, des droits démocratiques et des conditions de vie dignes que mènent les peuples au nord, au sud, et dans le monde entier.

Nous devons dénoncer toute réponse impérialiste et coercitive à la crise en Corée et soutenir tous les efforts de réunification si nous souhaitons réellement la dénucléarisation durable ainsi que la pacification et la démilitarisation de la péninsule coréenne.

Cela pourrait rendre son territoire moins fermé à la circulation des personnes et de l’information.

Une fois l’information accessible et vérifiable, l’écrasante majorité des discours portant sur la RPDC ne se résumeront plus à une diabolisation anticommuniste archaïque ou un angélisme gauchiste dogmatique. Une avancée sérieuse vers l’amélioration des droits, des conditions de vie et de paix dans la péninsule coréenne.

Thomas Joo-Young Feron