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Cinéma : I Am not a Witch - De la nécessité d'une autre voix

De la nécessité d’une autre voix

I Am not a Witch de la réalisatrice britannico-zambienne Rungano Nyoni, sélectionné à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, raconte l’histoire de Shula, une petite fille accusée de sorcellerie. Original, intriguant et esthétiquement très réussi, ce premier long-métrage met à jour, de la plus belle des manières, l’importance de mettre en avant des points de vues différents.

Rungano Nyoni a grandi en Zambie jusqu’à l’âge 9 ans, puis s’est installée avec sa famille au pays de Galles. Après une école de comédie, elle se tourne vers la réalisation et produit plusieurs court métrages, notamment Mwansa The Great, multi primé. I Am not a Witch est son premier long métrage. On y suit Shula, enfant silencieuse, accusée de sorcellerie, qui devra faire face à son exclusion de la société et à l’exploitation de la part d’un fonctionnaire sans vergogne.

Une misogynie systémique

Inspiré de faits réels mais également de fables et de contes, ce film propose une critique virulente de la misogynie à travers la figure de la sorcière. Selon la réalisatrice, la genèse de ce film est assez simple: en entendant de nombreuses histoires de sorcellerie lors d’un séjour dans son pays natal, elle a fini par se demander pourquoi c’était toujours des femmes qui étaient accusées de sorcellerie. Pour son scénario, Nyoni s’est inspirée des Witch Camps (camps de sorcière), notamment celui de Gambanga au Ghana. Ces espaces, qui existent parfois depuis plus d’un siècle, sont occupés par des femmes qui ont fui des accusations de sorcellerie afin d’éviter d’être lynchées par leurs voisins et voisines.

Selon la réalisatrice, qui a passé plusieurs mois dans ce camp, on donne à ces «sorcières» des «potions» pour les empêcher de voler ou l’on met en place des filets invisibles les empêchant de s’enfuir. Procédé qu’elle retranscrit magnifiquement dans son film par l’utilisation de bobines de ruban blanc qui délimitent leur déplacement, posées sur le dos de ces femmes. Sous la protection du chef local, dont elles paient ladite «protection» en travaillant gratuitement dans ses champs, elles vivent recluses. A partir de ce fait social dramatique – les accusations de sorcellerie utilisées pour exploiter et opprimer des femmes vulnérables – la réalisatrice produit une satire mordante qui dénonce une misogynie systémique tant de la part des quidams que des institutions.

Un film respectueux et original

Au vu du sujet, on aurait pu s’attendre à un film plein de pathos, destiné à faire pleurer dans les chaumières, mais il n’en est rien. Déjà, parce que ce film est rempli de petite drôleries absurdes et poétiques. Mais surtout car les personnages sont traités avec humanité et subtilité. Les scènes de vie du Witch Camp, tout en montrant la dureté de leur exploitation, expriment également les liens qui unissent ces femmes.

En montrant que malgré la déshumanisation qu’elles subissent, elles continuent à être des individus cherchant des miettes de bonheur où elles peuvent les trouver, notamment dans une bouteille de gin, la réalisatrice fait de ces femmes autre chose que des victimes silencieuses. Là non plus, rien du cliché éculé du sourire dans l’adversité qu’on prête aux personnes pauvres, spécialement quand elles sont noires. Non, juste un regard respectueux sur ces vieilles femmes qui, dans des circonstances infâmes, restent avant tout des êtres humains.

Une autre voix

Ce regard, respectueux et subtil, fait toute la force du film. Les représentations de sociétés africaines que l’on peut voir dans les salles de cinéma des pays occidentaux, déjà bien rares, tombent souvent dans les écueils d’un regard paternaliste aux relents coloniaux. Ici point de girafes, de vieux sages, de rites mystérieux ou de sauveurs et sauveuses blanc•he•s mais la description d’une société complexe et vivante.

La réalisatrice dit elle-même, par son parcours de vie, se trouver toujours entre deux mondes. Elle porte son regard de jeune femme africaine sur une société qu’elle connait et respecte. Et, peut-être contre-intuitivement, cela ne rend son film que plus universel. En donnant la possibilité à différentes voix de s’exprimer, on enrichit notre vision du monde.

En effet, les scandales récents comme la polémique #oscarsowhite ou le très faible nombre de films réalisés par des femmes sélectionnés et primés à Cannes ont mis sur le devant de la scène les problématiques liées au manque de représentation des minorités dans cette industrie. Nyoni relève d’ailleurs que, bien que son film ait été sélectionné à Cannes et que ses court métrages aient été plusieurs fois primés, elle se trouve au même stade que ses amis réalisateurs hommes qui eux croulent sous les projets alors qu’ils n’en sont qu’à leur premier court métrage.

Au-delà de la question éthique de savoir pourquoi les personnes minorisées ont tant de peine à réaliser et surtout distribuer leurs films, qu’en est-il en termes de richesse du paysage culturel et de l’existence d’autres histoires? Car finalement, c’est cela qu’on ressent en sortant d’une projection d’un film comme I Am not a Witch: l’impression d’avoir vu une histoire différente, l’impression d’avoir entendu une autre voix.

Maimouna Mayoraz