Donner une voix politique à la colère sociale

Plus que deux semaines avant les élections législatives italiennes. Selon tous les sondages disponibles, aucun regroupement ne serait aujourd’hui en mesure d’obtenir les 316 sièges nécessaires pour gagner la majorité au parlement et former un gouvernement. La coalition qui se rapprocherait le plus des marches du pouvoir est celle de la droite alliée à la droite extrême. Mais Forza Italia de Silvio Berlusconi (le revoilà), les deux mouvements postfascistes, La Lega de Matteo Salvini et Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, associés à quelques regroupements mineurs de la droite dure, n’atteindraient pas ensemble les 40 % indispensables. A ce jour, quelques 10 millions d’Italien·ne·s sont indécis, une part considérable d’électeurs·trices qui risquent de modifier les calculs des instituts de sondage les plus sérieux.

La presse quotidienne nationale et internationale focalise son attention sur la constellation néofasciste qui fait de plus en plus parler d’elle. Sa présence menaçante dans certains quartiers des villes du sud de la Péninsule et sur les places italiennes ne cesse d’inquiéter à juste titre. Le 3 février dernier, la campagne raciste persistante menée par la droite extrême a abouti à l’attentat de Luca Traini, ex-candidat de la Lega et ancien membre du service d’ordre de Matteo Salvini, contre des immigré·e·s d’Afrique sub-saharienne dans la ville de Macerata (région des Marches). Forza Nuova, Casapound et Fiamma Tricolore se présentent aux prochaines élections dans la coalition Italia agli Italiani (Italie aux Italiens), et proclament fièrement pouvoir passer la barre du quorum de 3 %. Ils ont d’ores et déjà annoncé leur soutien à un gouvernement qui verrait Matteo Salvini arriver à la présidence du Conseil.

S’il convient de prendre la juste mesure de cette montée en intensité de la droite néofasciste et des soutiens dont sa grammaire politique semble bénéficier au sein de la population et de la coalition de droite, il est tout aussi nécessaire de contester vivement son corollaire affirmé, soit l’appel au vote utile. La question est ailleurs. Elle se situe précisément dans le climat de désespérance sociale que traverse le pays. Dans l’incapacité des forces politiques à répondre aux besoins les plus pressants d’une population à la merci du chômage, de la précarité, et de la pauvreté et dans le rejet des politiques d’austérité menées successivement par les gouvernements de la droite berlusconienne et du parti démocrate. Rien d’étonnant à ce que les sondages estiment l’abstention à 30 % voire 40 % du corps électoral.

Pourtant, face à ce vent noir qui semble souffler inexorablement sur la Péninsule, se dresse vent debout une autre Italie. Les dizaines de milliers de personnes qui, le 10 février dernier, faisant fi des mots d’ordre des directions du parti démocrate, de la CGIL et même de l’ANPI (Association nationale des partisans), ont décidé de défiler contre le racisme et le fascisme suite à l’attentat de Macerata.

A Milan, à Brescia, à Piacenza, à Macerata, la mobilisation imposante de samedi dernier a rappelé aux observateurs·trices inattentifs que les mouvements sociaux n’ont pas cessé d’alimenter des foyers de lutte dans tout le territoire. Parmi eux, le mouvement féministe (la manifestation lancée par Non una di meno le 8 mars dernier rassemblait des milliers de personnes dans toute la Péninsule), les militant·e·s d’une écologie radicale ou encore les jeunes des centres sociaux qui jouent un rôle indispensable d’appui aux plus démuni·e·s dont les migrant·e·s.

Le lancement de Potere al Popolo (voir notre cahier émancipationS) et sa diffusion large sur l’ensemble du territoire peuvent ainsi correspondre à la recherche d’une issue politique de rupture, qui fasse converger l’ensemble de ces luttes vers un horizon de transformation sociale. Expression d’une nouvelle génération, Potere al Popolo donne aujourd’hui une autre couleur au combat d’une gauche de gauche en Italie.

«Ne nous laissez pas seuls face au fascisme» martelait l’une des pancartes de la manifestation de Macerata. Les manifestant·e·s affirmaient ainsi la nécessité de chercher une réponse globale à la droite extrême. Face à l’antifascisme vide de sens agité par les forces gouvernementales et leurs alliés, ces mobilisations affichent la nécessité de revenir aux sources d’un antifascisme de combat. Un antifascisme qui soit non seulement une lutte contre le fascisme ou ses résurgences mais aussi contre ce qui le rend possible, pour ouvrir une alternative qui rompe avec la logique capitaliste en multipliant les solidarités. Une lueur d’espoir éclaire ce chemin aujourd’hui…

Stéfanie Prezioso