RDC
La perspective mensongère d'élections apaisées
Notre rédaction s’est entretenue avec Jean Nanga sur la situation en République démocratique du Congo (RDC).
Joseph Kabila, dont le mandat constitutionnel a expiré en décembre 2016, a obtenu jusqu’en décembre 2017 pour organiser l’élection de son·sa remplaçant·e. Mais cette échéance n’a pas été respectée et l’élection est désormais censée se dérouler en décembre 2018. L’alternance sera-t-elle enfin au rendez-vous?
Le recensement étant effectif, des dispositions financières étant prises par le gouvernement, il n’y a plus de raison que la Commission électorale nationale indépendante ne soit pas prête à la fin de l’année. Mais, cela n’empêche que prévaut un scepticisme. Il y a certains propos tenus par le porte-parole de la majorité présidentielle confiant, au début de ce mois, au quotidien Le Monde, sa «conviction que l’opposition n’est pas prête».
Joseph Kabila lui-même a parlé, lors de sa conférence de presse de janvier 2018, de la volonté de la majorité présidentielle d’«aller aux élections comme prévu. […] J’aimerais que nous puissions avoir des élections apaisées. Est-ce l’objectif de l’opposition? Point d’interrogation». Mais, le calendrier électoral n’ayant nullement prévu un référendum constitutionnel qui permettrait de résoudre le problème de l’impossibilité constitutionnelle actuelle de réviser «le nombre et la durée des mandats du Président de la République» (article 220), la majorité présidentielle est-elle en train de préparer un·e autre candidat·e? On peut se le demander.
Le pays est ces dernières années marqué par une recrudescence de violences de masse, notamment dans le Kasaï. Doit-on y voir une perte du contrôle du territoire par l’Etat? Ou, au contraire, un stratagème pour conserver le pouvoir via un «chaos organisé»?
Le régime de Joseph Kabila n’a presque jamais exercé la souveraineté sur l’ensemble du territoire national, par le fait des oppositions armées, des milices, aussi bien soutenues par des Etats voisins anciennement alliés (Ouganda et Rwanda) se servant en ressources minières congolaises, à l’est de la RDC, que résistant de façon assez autonomes à cette «occupation étrangère».
La recrudescence actuelle des violences exprime l’échec du pouvoir central à contrôler certaines strates inférieures du pouvoir ; le délabrement social favorise l’autonomisation des milices. Une opportunité que saisit le pouvoir central ou provincial pour organiser ou laisser s’aggraver, également par le biais de certaines milices, une espèce de chaos qui rendrait impossibles les «élections apaisées» évoquées par Kabila.
La répression est également féroce contre toute forme d’opposition. Peux-tu préciser quels sont les secteurs sociaux qui s’opposent à Kabila?
C’est un paradoxe de souhaiter des «élections apaisées» et de réprimer en même temps des manifestations pacifiques, à l’instar de celles organisées par le Comité laïc de coordination (CLC), voire de menacer de faire adopter une nouvelle loi sur le droit de manifester, car «la démocratie ce n’est pas la foire» (J. Kabila). Ceci alors que le CLC ne fait que demander au président de la République de s’engager publiquement à ne pas manœuvrer pour se maintenir au pouvoir. Depuis l’échec de l’appel de l’opposition à des marches à travers le pays le 19 décembre – interdites par le pouvoir – c’est l’Eglise catholique qui est devenue la principale animatrice de la mobilisation populaire, vu son influence dans presque tous les secteurs sociaux, y compris parmi les syndicats.
La RDC est depuis des années confrontée à une crise sociale profonde qui la classe au 176e rang sur 186 pays de l’Indice du développement humain du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), malgré ses richesses. Ce sont évidemment les classes populaires qui sont frappées. Cependant, les revendications sociales populaires restent souvent subordonnées à l’alternance démocratique, souvent considérée comme prenant en compte les préoccupations sociales des couches populaires. D’autant plus que l’anticapitalisme est quasi-inexistant dans l’espace social et politique national, malgré la conservation d’un anti-impérialisme rattaché à la mémoire de Patrice Lumumba.
Propos recueillis par Pierre Raboud
Code minier
Un nouveau code minier vient d’être adopté. Qu’il y a-t-il à en attendre?
Selon la presse spécialisée, le nouveau code minier a augmenté les taxes et redevances à partir de la considération selon laquelle les taux bas fixés dans le code précédent (adopté en 2002) avaient été déterminés par le contexte de la guerre. Il fallait alors attirer les investisseurs. Ce sont surtout des transnationales, à l’instar de Glencore, qui en ont profité.
Cette hausse des taux et redevances, plus élevée pour les minerais dits stratégiques – ceux dont dépend la technologie de pointe – fait évidemment grincer les dents des transnationales minières, alors que les cours de certains minerais comme le cobalt (dont la RDC est le premier producteur mondial) sont repartis à la hausse.
Par ailleurs, le nouveau code consacre, entre autres, la réservation de la sous-traitance aux entreprises à capitaux majoritairement congolais et la hausse de la part minimale du capital local dans les entreprises minières (transnationales). Il s’agit d’une révision qui peut être considérée comme «progressiste» par le fait de pouvoir augmenter les gains du trésor public, avec des supposées conséquences positives sur les politiques/dépenses sociales.
Cependant, en dehors du fait qu’il ne tient pas compte de la dimension écologique, le nouveau code minier va davantage profiter à la classe dominante locale, dont des membres du clan présidentiel actuel, intéressés par la «nationalisation» de la sous-traitance et une participation plus importante dans les entreprises minières.