Rwanda
RDC
Le business en treillis et en cravate au Rwanda
Certaines guerres se déroulent dans un silence médiatique inquiétant, en particulier sur le continent africain. Le pillage des richesses naturelles peut ainsi se dérouler en toute discrétion. C’est notamment le cas en République démocratique du Congo où les conflits ont repris en intensité. Et dans lesquels le Rwanda voisin joue un rôle majeur.

Au lendemain du génocide des Tutsis, en 1994, l’armée rwandaise est restée un acteur très actif en Afrique centrale. Pour le Rwanda, cette présence se justifiait pleinement. L’armée était l’assurance contre la menace que constituait un éventuel retour des génocidaires qui s’étaient enfuis en République démocratique du Congo (RDC) ; le pays ne pouvait compter que sur lui-même face à cette menace.
Par conséquent, le Rwanda s’est engagé dans les deux premières guerres en RDC, (1996–1997 et 1998–2002) et demeure un acteur actif de la guerre du Kivu qui se déroule depuis 2004.
Kigali a joué un rôle majeur dans ces guerres, notamment lors du renversement du dictateur Mobutu Sese Seko, en 1997, en soutenant les rebelles de l’opposant Laurent-Désiré Kabila. Lorsque débute la seconde guerre congolaise un an plus tard, le Rwanda occupe de larges portions à l’est du pays. Ce conflit, un des plus grands sur territoire africain, impliquera neuf États et provoquera des centaines de milliers de mort·es.
L’appât des minérais
Or, l’immense territoire où se déroulent les hostilités représente un grand intérêt. Il s’agit de l’une des régions les plus riches au monde pour l’approvisionnement de matériaux stratégiques (coltan, tantale, or, cassitérite, wolframite, etc.).
Le Rwanda est un petit pays, surpeuplé, avec une économie essentiellement agricole. Sa participation aux missions «de paix» lui permet de nourrir une partie de ses forces militaires et de les utiliser comme force d’influence dans des régions riches de leur sous-sol.
Au cours des années 2013–2019, le Rwanda est devenu le premier exportateur mondial de coltan et le deuxième de tantale, minerais essentiels pour l’industrie électronique de haute technologie. Comment est-ce possible alors que son territoire est pauvre en ressources minières?
Sous prétexte de combattre les anciennes forces génocidaires réfugiées en RDC (les Forces démocratiques de libération du Rwanda, FDLR), le Rwanda s’est aménagé un accès direct à ces richesses naturelles pour les exporter. C’est notamment l’une de ses principales sources de devises. En 2002, les experts des Nations unies estimaient que l’armée rwandaise aurait retiré du trafic illégal de coltan près de 250 millions de dollars de 1998 à 2000.
C’est principalement pour garantir ses intérêts que Kigali a soutenu des groupes armés congolais en lutte contre les forces gouvernementales de la RDC et les milices anti-rwandaises, par exemple le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda — devenu en 2012 le Mouvement du 23 mars (M23) — un groupe armé réactivé en 2021 qui contrôle actuellement de larges portions du Nord-Kivu. Des éléments des Forces armées rwandaises sont d’ailleurs régulièrement signalés en RDC, bien que Kigali réfute toute présence sur le sol congolais.
Le business de « la paix »
Progressivement, le président rwandais Paul Kagame a développé une diplomatie active en Afrique en utilisant son armée, qui est très opérationnelle, bien structurée et relativement bien équipée. Composée d’au moins 30 000 hommes et femmes, elle bénéficie d’une expérience continue des combats depuis maintenant quatre décennies.
Les années 2000 constituent un tournant dans cette orientation, qui se reflète au travers d’un fort engagement dans les Opérations de maintien de la paix (OMP). En 2002, en pleine deuxième guerre du Congo (1998–2002), l’armée est rebaptisée Forces rwandaises de défense (Rwanda Defence Forces, RDF).
En 2005, Kigali participe pour la première fois à un contingent de maintien de la paix avec la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS). Dans un conflit que l’on qualifie de génocide, la protection des civil·es du Darfour représente une motivation importante. D’autres raisons moins avouables justifient aussi cet engagement. Il faut occuper des milliers de combattant·es issus de dix ans des guerres congolaises et homogénéiser l’armée après l’arrivée de nouvelles recrues, et peut être aussi éloigner des unités moins fidèles au régime.
Au fil des ans, la stratégie de participation aux OMP s’intensifie. De nouveau au Darfour, où la MUAS est remplacée en 2007 par la Minuad, une mission hybride des Nations unies et de l’Union africaine, à laquelle participent 2800 soldats rwandais. Puis en 2011 et en 2014, lorsque des forces rwandaises interviennent au Soudan du Sud (Minuss) et en Centrafrique (Minusca).
Les bons élèves de l’ONU
En conséquence, les effectifs rwandais sont souvent les plus importants mais surtout les plus disciplinés dans les OMP. Les RDF déploient en permanence plus de 5000 membres, dont environ 5 % de femmes. Durant ces dix dernières années, plus de 40 000 soldat·es ont été déployés dans les OMP africaines, ce qui situe le Rwanda comme le quatrième pays contributeur en effectifs des forces des Nations unies.
La motivation majeure de ces participations est financière, et non pas humanitaire. En échange des ces missions , l’ONU a versé au Rwanda 171 millions de dollars jusqu’en 2022. Les engagements pour la paix ont un prix, que Kigali a rapidement transformé en service rémunérateur de son armée. Pour se justifier, le président Kagame utilise un slogan aux accents panafricanistes, des « solutions africaines aux problèmes africains ».
En outre les OMP ont renforcé l’influence du Rwanda en Afrique, ainsi qu’au sein de l’Union africaine ou des Nations unies, sans commune mesure avec sa puissance économique, sa taille ou son poids démographique. Lorsque des pays africains ont fait appel à des moyens militaires, (avec des troupes payées par l’ONU) la passivité totale de ces missions dans leur rôle de forces d’interposition a réduit à néant leur efficacité humanitaire.
À l’inverse, les Casques bleus rwandais se sont forgés une réputation de militaires efficaces et disciplinés sur le terrain. Contrairement à d’autres contingents, les soldats rwandais n’ont jamais fait l’objet d’accusations de crimes de guerre sexuels ou de viols. Au contraire, ils savent se montrer attentifs aux questions de genre, des comportements particulièrement appréciés au siège des Nations unies.
Comme par hasard, c’est Valentine Rugwabiza, une ancienne représentante permanente du Rwanda auprès des Nations unies, qui a été nommée cheffe de la Minusca en RDC, où le Rwanda est le premier contributeur en Casques bleus.
La zone frontalière entre la RDC et le Rwanda est progressivement devenue une région où s’entassent des milliers de réfugié·es hutus fuyant les combats et les restes de l’ancienne armée et des milices, dans une précarité totale. La guerre civile en RDC a encore compliqué la situation. Après les règnes chaotiques de la famille Kabila, un nouveau régime faible et profiteur s’est mis en la place.
L’importance du haut-Kiwu
La région frontalière du haut Kiwu est riche en minerais. Leur exploitation se fait dans des conditions effroyables. Une grande partie de ces richesses sont exportées via le Rwanda, au bénéfice des sociétés qui y ont leur siège.
Le gouvernement de Kagame profite ainsi de sa position militaire dominante pour participer au pillage et à l’exploitation de ces ressources pour le plus grand profit des compagnies multinationales.
Cela correspond à une nouvelle orientation dans l’influence du Rwanda et à son insertion dans la division mondiale des affaires. Garantir l’extraction et le commerce de matières, directement ou indirectement est son nouveau rôle, reconnu par les puissances mondiales, les USA en premier lieu.
Kigali bénéficie ainsi des exportations provenant du sol voisin et développe un modèle économique propre, où le business et la cupidité dominent. Toutes les entreprises privées sont liées aux plus hautes sphères du pouvoir, accompagnant le pillage, au bénéfice des multinationales, des matières premières et participant à la « pacification » violente de ces régions, au mépris des droits et des conditions de vie des populations résidentes. Inutile de dire que les juteux bénéfices ne profitent guère aux populations déplacées et premières victimes des différentes guerres. S’il y a bien un «ruissellement», c’est celui du sang.
La diplomatie du treillis
Les militaires rwandais ont sauvé le régime de la RDC en contenant les forces rebelles en janvier 2021. Un mois après cette démonstration de force réussie, des délégations rwandaises débarquent et accaparent des secteurs de l’agriculture, de l’alimentaire, des mines. Un bel exemple de la motivation de l’aide militaire, où les entreprises liées au régime de Kigali profitent de l’engagement des forces armées rwandaises pour gagner des parts de marché et signer des contrats.
Même scénario au Mozambique dès 2021, pour appuyer et sécuriser les projets gaziers de TotalEnergies au Cabo Delagado, avec l’implication active de la France. Le Rwanda a multiplié les accords bilatéraux de coopération militaire (en République centrafricaine, au Mozambique, au Bénin).
La stratégie militaro-diplomatique du Rwanda est présentée comme un succès par de nombreux gouvernements et institutions internationales. Face aux multiples crises et conflits du continent, le Rwanda cherche une place, qui jusqu’ici, était plutôt réservée à des « géants » comme l’Afrique du Sud ou le Nigeria. Pour l’instant, ces pays, paralysés par leurs faiblesses internes, n’arrivent pas à assumer un rôle de stabilité régionale.
Le business-model rwandais présente un atout pour la stabilité économique et politique du capitalisme, qui évite d’impliquer directement des puissances occidentales (France, USA) ou l’ONU (totalement discréditée), tout en garantissant un approvisionnement en minerais aux filières du capitalisme, qu’il soit occidental ou chinois.
Un nouveau «gendarme» pour cette zone instable mais riche en matières premières, voilà un rôle pour le Rwanda, habillé en treillis ou en cravate.
José Sanchez
Résumé de l’article de Florent Geel «Un nouveau “gendarme” africain?», publié en trois parties sur le site AfriqueXXI