Les droits fondamentaux sont-ils niés aux personnes racisées?

Dans un contexte où la CEDH vient de condamner la Suisse pour profilage racial dans les corps de police, la réponse policière à la prise d’otage du 8 février dans le Nord Vaudois interroge.

Une femme tient un panneau avec les personnes racisées tuées par lors d'interventions policières dans le canton de Vaud
Manifestation à Morges deux ans après la mort de Nzoy sous les balles d’un policier, 30 août 2023

Le soir du 8 février 2024, un homme d’une trentaine d’années prenait en otage quinze personnes dans le train régional d’Yverdon à Sainte-Croix, armé d’une hache. Après une intervention mobilisant une soixantaine de policiers de groupes d’intervention du Canton et de la Ville de Lausanne, ainsi que des tireurs d’élite de la police cantonale genevoise, l’homme a été abattu. Sa famille a porté plainte

Nous apprenions rapidement que l’auteur de cet acte était un requérant d’asile d’origine iranienne, dont l’état psychique était très fragilisé. 

La démocratie n’est pas un film d’action

Notre parti yverdonnois Solidarité & Écologie a rapidement communiqué son émotion pour la souffrance des victimes livrées à un choc traumatique majeur. Mais, nous avons également thématisé le rôle dans cette affaire d’un système d’asile toujours plus brutal, rejoint·es dans cette analyse par des expert·es psychiatres témoignant dans la presse de la dureté toujours plus grande des centres fédéraux d’asile et du parcours d’asile en général. Nous avons également cherché à questionner de manière critique l’issue létale d’une intervention policière d’une telle ampleur. 

Entretenant son fonds de commerce nauséabond, l’extrême droite n’a pas hésité à réagir en fustigeant les requérant·es d’asile dans leur ensemble. L’UDC a annoncé qu’elle allait agir au Conseil national. Le Conseil fédéral, par l’intermédiaire de Beat Jans, a communiqué quelques jours plus tard des mesures de durcissement de l’asile…

Pour beaucoup de personnes, le récit hollywoodien d’une prise d’otage débouchant sur la mort de l’auteur ne comporte rien de choquant. Rappelons que dans toute société démocratique, les droits fondamentaux se trouvent au sommet de l’ordre juridique, ce qui comprend le droit à la vie et à la justice. 

La proportionnalité de la réponse policière conduisant à cette issue fatale interroge une fois de plus, dans un contexte où l’État de Vaud a été le théâtre de la mort de cinq individus racisés des suites d’interventions policières entre 2016 et 2022, qui ne représentaient pourtant peu ou pas de danger. 

Quand « la race tue deux fois »

Les tirs létaux, des «gestes rares qui restent très encadrés» selon la RTS, ont en réalité concerné ces dernières années principalement des personnes non blanches, souvent en situation de fragilité psychique. Dans la situation d’Essert-sous-Champvent, qui demeure une intervention d’une difficulté rare, l’homme ne détenait pas d’arme à feu et avait répété ne pas souhaiter attaquer les victimes. 

Ce qui interroge particulièrement, c’est que dans certains cas, dans le Canton de Vaud, des interventions policières avec des individus représentant un danger pour eux-mêmes ou les autres se sont dénouées autrement. Le 12 février 2024 à Grandson, un Suisse armé d’un couteau de 20 cm fonçait sur deux policiers. Ceux-ci l’ont désarmé à l’aide d’un bâton tactique, démontrant que d’autres scénarios d’intervention existent, et que d’autres pratiques sans issue létale sont enseignées dans les formations. 

Profilage racial et déni institutionnel

Le 20 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la Suisse pour profilage racial, dans le cas de l’arrestation sans motif de Mohamed Wa Baile à Zürich en 2015. La Cour reconnaissait ainsi le caractère discriminatoire du contrôle d’identité effectué par la police municipale zurichoise. La cour appelait les autorités à «recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme et renforcer ainsi la conception démocratique de la société dans laquelle la diversité ne doit pas être perçue comme une menace mais comme une richesse». 

Dans son arrêt, la CEDH évoque les observations finales du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, un rapport de 2021 qui évoque que la formation des agent·es de police est insuffisante à prévenir de manière effective tout racisme et tout profilage racial de leur part en Suisse. 

La Commission européenne avait recommandé préalablement de former davantage les polices de Suisse à la question du profilage racial tout en plaidant pour la création d’un organe indépendant chargé d’enquêter sur les allégations de discrimination raciale et comportements abusifs à motivation raciste de la part de policier·es. 

Un tel organe est appelé par les collectifs qui se battent pour la reconnaissance des violences policières. De même, la formation de la police dans les cas de décompensations psychiques devrait être interrogée, même si ces enjeux concrets de formation ne doivent pas nous éloigner de l’analyse du rôle de l’institution policière dans le maintien d’un ordre social inégalitaire et raciste. 

La question des types de criminalité poursuivies en relation à celles qui ne le sont pas (lutte contre la drogue plutôt que criminalité économique par exemple) est en cela essentielle . Des groupes de luttes tels que Parlons Prisons, Justice pour Mike, Justice pour Nzoy, Infoprisons, Droit de Rester ou Gare à toi luttent activement pour les droits et la dignité de tou·te·s face à ces systèmes injustes, et n’appellent qu’à être rejoints. 

Mathilde Marendaz