Italie

Italie : La nuit risque d'être longue...

«Rome est désormais le centre de la politique mondiale.» Voilà comment Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, suprématiste blanc et antisémite, acclamait la constitution du nouveau gouvernement italien, formé de la Lega de Matteo Salvini et du Mouvement 5 étoiles (M5S) de Luigi di Maio. Il n’était pas le seul à se réjouir.


Peinture murale de tvboy représentant Matteo Salvini et Luigi di Maio

Plus de 80 jours ont passé depuis les dernières élections législatives. Aucune majorité n’était alors sortie des urnes. Le 5 mars, le M5S demeurait le premier parti, obtenant à la Chambre des députés plus de 32 % des voix. La coalition de droite autour de Forza Italia de Silvio Berlusconi, ressuscité en bon grand-père pro-européen, de la Lega de Matteo Salvini, parti xénophobe et identitaire, et du mouvement postfasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, arrivait en tête des élections en remportant 37 % des voix. Quant au Parti démocrate de Matteo Renzi et sa coalition, elle atteignait un score historiquement faible d’un peu plus de 22 %. Le résultat déterminait cependant un «podium sans vainqueur», aucun regroupement n’ayant obtenu la majorité nécessaire pour former un gouvernement. A priori, rien d’étonnant dans ce résultat. Et pourtant, un tremblement de terre politique a bien eu lieu.

Une Italie vert de jaune

Au-delà du M5S, la Lega de Matteo Salvini a le mieux tiré ses marrons du feu, devenant la première force de la droite coalisée avec quelque 17 % des voix (contre environ 4 % en 2013). Lega et M5S se profilaient ainsi dès le 5 mars comme capables de former un gouvernement sans avoir à compter ni sur les votes du PD, ni sur ceux de Forza Italia. La vague méridionale du M5S et la hausse exponentielle du nombre de voix de la Lega dans le Nord de la Péninsule (en particulier dans les anciens bastions «rouges» du Centre de l’Italie) semblaient indiquer qu’un gouvernement vert-jaune (aux couleurs respectives de la Lega et du M5S) pouvait (ré)unifier l’Italie.

Bien sûr, les spéculations sont allées bon train sur un M5S «ni de droite, ni de gauche», qui pouvait tout aussi bien faire alliance avec le PD, ce dont Matteo Renzi ne voulait pas. La presse soulignait ainsi à l’envi le fait que le 45 % de la base sociale du M5S était de gauche contre un faible 25 % de droite. Et pourtant… placé devant le choix d’accepter ou non un accord de gouvernement vert-jaune, le M5S a résolument opté pour cette option, à plus de 90 % des voix exprimées par la consultation en ligne effectuée dans ce but.

«Je t’aime, moi non plus»

Inutile d’insister sur les épisodes de farce qui ont scandé les quelque 80 jours qui nous séparent des élections: les discussions éprouvantes entre les différentes composantes élues au Parlement ; l’intervention du président de la République, Sergio Mattarella, qui refuse, sous la pression des marchées économiques européens, de nommer le ministre de l’économie proposé par la Lega, outrepassant allégrement les prérogatives que lui confère la Constitution italienne ; les appels à «prendre la place» lors de la fête de la République du 2 juin, lancés par la Lega et le M5S, le M5S allant jusqu’à inventer le hashtag #lostatosiamonoi (l’État c’est nous).

Passons aussi sur celles et ceux qui ont «ouvert les yeux» sur le véritable caractère de la non-­idéologie (ni de droite ni de gauche) du mouvement fondé par Beppe Grillo, et qui ont utilisé la presse pour faire leur mea culpa (d’y avoir cru, de l’avoir soutenu et/ou de l’avoir fait élire) ; parmi ceux-ci et non des moindres l’intellectuel militant Erri de Luca, le sociologue Domenico de Masi et qui sait ce qu’aurait bien pu dire, s’il était encore en vie, le Prix Nobel de littérature Dario Fo.

Laissons de côté la farce, et penchons-nous plutôt sur la tragédie. L’accord entre la Lega et le M5S a été cimenté par la conclusion d’un «Contrat pour le gouvernement du changement», un contrat comme dans une entreprise privée, qui prévoit trois mesures correspondant de fait à des accords de fond possibles entre les deux mouvements, même s’ils sont exprimés en des termes différents dans leur presse, blogs et meetings. Sur le plan des politiques migratoires: l’expulsion «prioritaire» de 500 000 migrant·e·s «irréguliers·ères», la fermeture de tous les espaces occupés par les Roms, la clôture immédiate de toutes les associations et lieux de culte islamique «irréguliers» ; l’exclusion des familles immigrées de la possibilité d’accéder à des crèches gratuites.

En ce qui concerne les politiques économiques: la substitution de l’impôt progressif par une flat tax (de 15 à 20 %) confirmant la bonne vieille règle de prendre aux pauvres pour donner aux riches. Last but not least, la mise en place du revenu de citoyenneté, mesure phare de la campagne de Luigi di Maio, qui équivaut en fait à l’application du workfare, mettant au travail les plus précaires pour un salaire de misère (780 euros par mois) avec l’interdiction de refuser plus de trois emplois proposés en deux ans.

«Sans tout repenser, il sera impossible de repartir»

La campagne électorale s’est terminée par l’attentat de Luca Traini, ex-candidat de la Lega, contre des immigré·e·s d’Afrique sub-­saharienne dans la ville de Macerata (solidaritéS, nº 323) ; l’assassinat du jeune Malien de 29 ans, Soumayla Sacko, syndicaliste de l’Unione Sindacale di Base, près de Gioa Tauro en Calabre, où les migrant·e·s travaillent comme des esclaves pour 2 euros par jour, marque le début du gouvernement Lega-M5S.

Les temps sont sombres… et la nuit risque d’être longue. Mais de l’obscurité surgira peut-être la nécessité de reconstituer un sujet politique de gauche radicale prêt à se jeter dans la mêlée pour une bataille qui s’annonce difficile. Potere al Popolo, lors de son dernier congrès, a énoncé cette idée. Une planche de salut dont nous avons bien besoin.

Stéfanie Prezioso