Trump et l'avenir de la politique étatsunienne

La politique étrangère de Trump renvoie à un débat de plus en plus serré au sein de la classe dominante étatsunienne sur la façon de répondre au défi montant de la Chine et de ses vieux alliés européens et japonais.


Visite officielle de Donald Trump à Pékin, 9 novembre 2017.

L’heure est à la réorientation de la politique mondiale sous la pression d’un populisme de droite en plein essor, aux dépens des partis traditionnels du monde occidental. Cette réorientation se manifeste par un tournant vers le nationalisme économique, après des décennies de politiques néolibérales à l’enseigne du libre-échange et de la dérégulation. L’élection de Trump, le Brexit et le clash entre le nouveau gouvernement italien et l’Allemagne annoncent une nouvelle période de compétition entre grandes puissances.

Rivalité impériale

Derrière les barrières douanières se profile la rivalité impériale. Les compagnies européennes faisant des affaires avec l’Iran pourraient être exclues du marché étatsunien. L’ambassadeur des États-Unis en Allemagne soutient l’extrême droite pour affaiblir l’Union européenne de l’intérieur. La bataille transatlantique sur l’acier et l’aluminium ainsi que l’appel à la Russie pour le G7 vont dans le même sens.

Ces tensions ne sont pas nouvelles. Ce qui l’est, c’est leur tendance à déborder les canaux d’arbitrage multilatéraux (OMC, FMI, Banque mondiale) qui servent les puissances dominantes établies. Depuis que la Chine a rejoint l’OMC en 2001, elle s’est affirmée comme un nouveau centre dynamique d’accumulation capitaliste et un compétiteur de premier plan à l’échelle mondiale.

Son industrialisation hyperaccélérée a injecté de la croissance dans le système global en stimulant les économies exportatrices de matières premières en Afrique et en Amérique latine. Mais elle a aussi ébranlé la stabilité économique mondiale en développant d’importantes surcapacités de production qui ont fait pression sur les profits. La croissance fondée sur l’endettement a fortement ralenti durant les années 2007–2008, et les politiques coordonnées de relance de 2009 – sauvetage des banques, nationalisation d’industries entières et dépenses publiques massives – ont seulement empêché la Grande récession de tourner à la catastrophe.

Un projet encore minoritaire, mais sérieux

Avec la reprise, la Chine a de nouveau donné le ton, tirant de nombreux pays en développement dans son sillage. La Banque mondiale prédit que la Chine seule comptera pour 35% de la croissance du PIB mondial en 2018–2019. Toutefois, son économie repose sur un endettement massif (256% du PIB à mi-2017, contre 250% aux États-Unis et 190% pour l’ensemble des pays émergents); sa croissance entretenue produit des surcapacités croissantes; et sa montée en gamme dans les domaines de l’aérospatiale et de l’électronique fait de plus en plus concurrence aux multinationales occidentales et japonaises.

La vigueur de la croissance chinoise est aujourd’hui le leitmotiv des partisans de mesures protectionnistes dans l’entourage de Trump. La croissance des États-Unis n’a été que de 2,2% par an depuis la fin de la récession en 2009 – contre 3% depuis 1945 – et il leur a fallu presque une décennie pour émerger de la crise. Ils semblent ainsi englués dans ce que le Secrétaire du Trésor, Lawrence Summers, appelle une «stagnation séculaire».

En plus du fléchissement relatif de leur puissance économique, les États-Unis souffrent d’une crise de domination impérialiste, qui résulte de leurs guerres sans issue en Irak et en Afghanistan. Cette crise a permis à la Chine et à la Russie de réaffirmer leur l’influence en Afrique et au Moyen-Orient. C’est un défi pour la classe capitaliste étatsunienne, qui manque d’idées et de leadership pour faire face à son déclin. L’«America first» de Trump n’est que le vernis populiste posé sur un projet sérieux de secteurs de la classe dominante. Ce qui se reflète dans le document de stratégie de sécurité nationale, qui met l’accent sur les puissances régionales chinoise ou russe plutôt que sur la «guerre contre la terreur».

Vers une économie mondiale postnéolibérale?

Les nationalistes économiques de l’entourage de Trump incarnent une position minoritaire au sein du monde de la grande entreprise, que le succès du libre-échange rend réticent au changement, ce que reflètent les médias dominants avec leur vision hautement critique, sinon effarée, de la performance de Trump au G7. Mais le changement est déjà là: le néolibéralisme, les accords de libre-échange comme l’ALENA et des institutions comme l’OMC ont été soutenus par Washington parce qu’ils renforçaient et consolidaient la domination étatsunienne. S’ils deviennent des obstacles, ils doivent être ignorés et abandonnés.

Alors que les guerres commerciales surgissent souvent durant les crises économiques, celle en cours intervient alors qu’une reprise économique s’affirme à l’échelle mondiale. Pour le FMI (avril 2018), «la reprise économique qui a commencé à la mi-2016 s’élargit et se renforce», même s’il faut faire attention aux effets induits par la crise – «des niveaux d’endettement élevés» et des chocs post-traumatiques menant à des «politiques nationalistes».

Des dettes impossibles à rembourser, un krach financier ou un lent déclin de la profitabilité des entreprises peuvent servir de détonateur. Le relèvement des taux par les banquiers centraux, comme la Fed US, peut trop rapidement étouffer la croissance. Mais quoi qu’il arrive demain, une économie mondiale postnéolibérale est en train d’émerger. Et même si Trump renonce à une guerre commerciale déclarée aujourd’hui, le nationalisme économique et la mutation des blocs commerciaux vont conditionner la politique économique des États-Unis. Le monde du travail de ce pays comme du reste du monde ne peut rien en attendre de bon.

Lee Sustar

Version traduite de l’anglais et adaptée par nos soins d’après l’original paru sur le site socialistworker.org: «Trump’s Trade Wars on the World», 14 juin 2018