Après les faillites de la libéralisation, où va le rail en Europe et en Suisse?

Après les faillites de la libéralisation, où va le rail en Europe et en Suisse?

En février 2002 nous avons publié dans ces colonnes un papier sur la privatisation des chemins de fer au Royaume-Uni. La catastrophe annoncée est bien arrivée! Après la faillite de Railtrack, l’infrastructure a été reprise par Network Rail, sous une renationalisation déguisée (société de droit privé sans but lucratif avec un seul actionnaire l’État!). Mais la dispersion des spécialistes, l’appel a des entreprises non compétentes a entraîné une augmentation considérable des coûts de travaux et d’entretien, et des contraintes accrues sur l’exploitation. Les retards et les fermetures de lignes pour travaux s’accumulent. Dans le même temps, les subventions aux sociétés d’exploitation, qui devaient avoir baissé de moitié en 2003, ont doublé par rapport aux dernières années de la société nationale British Rail.


Mais ce n’est pas une spécificité britannique et sur le continent nous ne sommes pas à l’abri d’une semblable mésaventure. En effet la même doctrine et les mêmes pratiques sont déjà à l’œuvre.


La séparation de l’infrastructure et de l’exploitation, voulue par Bruxelles pour les pays de l’UE pour des raisons de transparence comptable a, en fait, une intention politique. Il ne faut pas oublier que dans le traité de Maastricht, qui fonde l’actuelle Union Européenne, le principe «d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre» est répété à longueur d’articles comme un credo. France, Italie, Espagne ont déjà concrétisé la séparation avec des sociétés ad-hoc comme Réseau ferré de France. Le deuxième étage de ce dispositif conduisant aux privatisations est la séparation de l’exploitation en «activités»: voyageurs grandes lignes, voyageurs régionaux, marchandises (rebaptisées «fret»!). Enfin, ceci étant mis en place, intervient l’ouverture à la concurrence. Des exploitants devenus «opérateurs» peuvent faire circuler «leurs» trains avec éventuellement «leurs» locomotives et «leurs» mécaniciens sur les lignes de tous les réseaux en payant des droits de passage aux sociétés en charge des infrastructures. Simple, non?


La Suisse, tout en n’appartenant pas à l’UE, n’a pas échappé à cette «logique». La séparation infrastructure – exploitation reste comptable, les CFF et les réseaux «privés»1 restant propriétaires des voies. Mais la séparation en «activités» est en place avec les voyageurs «grandes lignes», le trafic régional (payé par les cantons) et CFF Cargo. Cela va jusqu’à la séparation des locomotives, comme en France, ce qui n’est pas sans poser des problèmes: les machines d’une «activité» pouvant rouler pour une autre moyennant compensation financière. Toujours la simplicité.


Déjà, sur les réseaux de l’UE, le trafic marchandises est «libéralisé» depuis mars 2003. Les effets ne sont pas encore visibles d’autant plus que les sociétés en place, SNCF, DB et autres résistent, soutenues pas les syndicats. La libéralisation du trafic voyageurs est prévue pour plus tard.


Il serait bien étonnant que la Suisse échappe à ce «jeu», déjà partiellement en place, pour le ferroutage par exemple.


Et demain on pourrait voir un de ces «opérateurs» privés faire rouler «ses» trains avec ses propres mécaniciens à bas prix et à basses qualifications. Qui garantira la sécurité? L’exemple britannique où, à chaque accident, exploitants et responsables de l’infrastructure se renvoient la balle est significatif. Comme nous le disions dans l’article cité plus haut, le chemin de fer n’est pas la route et seule l’unité d’organisation et de décision peuvent en garantir le bon fonctionnement.


Michel COMTE

  1. N’oublions pas que les réseaux baptisés «privés» comme le BLS sont largement à capitaux publics.