Soudan

Manifestations massives contre la dictature d'el-Béchir

Un mouvement de contestation populaire sans précédent depuis le coup d’État de 1989 a éclaté à la mi-décembre dans plusieurs villes touchées par la hausse du prix de produits de première nécessité.

Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, le Soudan fait face à une inflation de près de 70% chaque année et une grave crise monétaire. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a estimé que près de la moitié de la population, soit 20 millions de personnes, vit sous le seuil de pauvreté.

Les appels à la mobilisation ont d’abord été lancés par le Rassemblement des professionnels, qui regroupe notamment les grands syndicats de médecins, d’ingénieurs et d’avocats. L’objectif était de protester contre les politiques d’inspirations néolibérales du régime du dictateur Omar el-Béchir. Le soulèvement a débuté dans les villes du nord du pays, à partir de Atbara, une agglomération ouvrière et le berceau du syndicalisme soudanais. Il s’est ensuite rapidement propagé dans le reste du pays, trouvant un large écho au sein des classes populaires et des partis d’opposition. Le mouvement a pris de l’ampleur avant d’appeler progressivement à la démission du dictateur. La crise est profonde et elle remet en cause l’ensemble du régime et de ses politiques.

Lors des manifestations, des bâtiments du parti du Congrès national au pouvoir ont été incendiés. Les slogans les plus populaires sont « Liberté, paix et justice » et « La révolution est le choix du peuple », mais on trouve aussi l’expression « Le peuple veut la chute du régime », devenue célèbre depuis la révolution tunisienne de 2010 – 2011. De nombreuses villes du pays ont vu la population braver l’état d’urgence et le couvre-feu qui y ont été instaurés.

Répression mortelle

La répression de la part du régime a été violente, tuant au moins 19 personnes selon les autorités, tandis qu’Amnesty International a fait état de la mort de presque 40 manifestant·e·s. Plus de 2000 personnes ont été arrêtées par les forces de sécurité du régime, y compris des féministes, des journalistes, des leaders syndicaux et des membres de mouvements de gauche. Les écoles et les universités ont été fermées.

Poursuivi par la Cour pénale internationale pour génocide dans la province du Darfour (à l’ouest du pays), Omar el-Béchir, 75 ans, a pris le pouvoir en 1989 lors d’un coup d’État soutenu par des forces islamiques fondamentalistes, notamment le mouvement des Frères musulmans, contraignant à l’exil le Premier ministre démocratiquement élu, Sadeq al-Mahdi. Depuis, il dirige le pays d’une main de fer, notamment grâce au puissant Service national du renseignement et de la sécurité. Son régime est coupable de nombreux crimes contre les populations du Sud, maintenant indépendantes.

Avant la contestation, le dictateur était sur le point d’obtenir des amendements constitutionnels qui lui auraient permis de se représenter à la présidentielle en 2020, mais les manifestations ont bouleversé son projet.

Depuis sa prise de pouvoir, il a noué des relations de fond avec de puissants acteurs régionaux et internationaux, comme la Chine, la Turquie et les monarchies du Golfe, qui ont d’ailleurs toutes manifesté leur soutien au régime. En septembre 2017, l’administration Trump a partiellement levé les sanctions contre le régime, qui étaient en place depuis près de 20 ans. Ces développements étaient notamment liés au soutien de Khartoum à la guerre au Yémen, menée par les Saoudiens et soutenue par les États-Unis, notamment par l’envoi de milliers de soldats soudanais.

Dernièrement, el-Béchir a été le premier chef d’État arabe à rendre visite au dictateur Bachar al-Assad à Damas à la mi-décembre 2018, ouvrant la porte à l’arrivée d’autres officiels arabes en Syrie. Les Émirats arabes unis ont depuis rouvert leur ambassade dans la capitale syrienne.

Inspirations populaires

Depuis son indépendance en 1956, le Soudan a connu des expériences de mobilisations populaires qui ont renversé par deux fois les régimes autoritaires en place: celui du maréchal Ibrahim Abboud en 1964, puis celui du général Gaafar Nimeiry en 1985.

Les manifestations se poursuivent à l’heure où nous écrivons, avec la volonté toujours présente de renverser le régime d’el-Béchir. L’inspiration des soulèvements populaires débutés en 2010 – 2011 dans la région est présente dans les rues du pays, malgré les violentes attaques du régime qui cherche à mettre fin aux aspirations à la démocratie, à la justice sociale et à l’égalité.

Joseph Daher