J’accuse

L'accusateur accusé

À la sortie de J’accuse, consacré à l’affaire Dreyfus, le réalisateur Roman Polanski a – encore – fait l’objet d’une accusation de viol. Une raison valable de ne pas aller voir le film?

Polanski
Manifestation lors de l’avant-première du film à Paris, 12 novembre 2019.
Clara Dalmasso

 Il faut séparer l’homme de l’artiste. Combien de fois avez-vous entendu cette phrase? Phrase creuse – et soulevant des problèmes anatomiques évidents – mais qu’on peut déclamer en prenant un air solennel, pour marquer la gravité de la situation: les affaires du monde ne doivent pas interférer avec la création artistique.

Mais en l’espèce, l’artiste lui-même ne semble pas vouloir être distingué de son existence humaine: Polanski, dans le dossier de presse de J’accuse, lie le sujet de sa dernière œuvre à sa propre histoire. Au cours d’une interview, son ami, le philosophe-pour-plateaux-de-télévision Pascal Bruckner, le caresse dans le sens du poil avec une question fustigeant au passage « le maccarthysme néoféministe actuel »: n’y aurait-il pas des éléments de ressemblance entre le complot judiciaire dont fut victime le capitaine Albert Dreyfus à la fin du 19e siècle et l’acharnement que subit aujourd’hui le réalisateur franco-polonais? Oui, répond l’intéressé, qui s’y connaît en mécanismes de persécution. Comprendre: la demi-douzaine de femmes l’accusant de viol et de violences sexuelles – dont la photographe Valentine Monnier, sortie du silence après plus de 40 ans – ne seraient que les avatars d’une répugnante « chasse aux sorcières » dont il fait l’objet depuis des décennies, avec la complicité des médias. Un acharnement dont on se demande bien, au passage, quels intérêts il pourrait servir.

Impossible, donc, de parler du dernier film de Polanski en ignorant le contexte de sa sortie et les soupçons entourant le réalisateur, puisque lui-même y fait référence. Impossible aussi d’ignorer la laideur du procédé, quand un repris de justice se compare à une victime du racisme d’État et use de sa célébrité et des centaines de salles programmant son œuvre pour s’acheter une virginité aux yeux du public et de la postérité.

La question n’est pas tant de savoir s’il faut juger J’accuse à l’aune des accusations à l’encontre de son auteur. Ni s’il faut ou non en finir avec l’image d’un artiste évoluant dans des sphères inaccessibles, d’où il n’a pas de comptes à rendre à une plèbe plus ou moins médiocre et, forcément, un peu jalouse.

La question posée par les féministes dénonçant la programmation du film est plus simple. Elle est d’ordre juridique: si les faits étaient avérés, Polanski ne devrait-il pas, comme n’importe quel justiciable, séjourner en prison – ou y avoir séjourné plus que les 42 jours passés derrière des barreaux californiens en 1977? Il serait alors dans l’impossibilité de réaliser des films. C’est l’existence même de J’accuse qui soulève un problème éthique, qu’on ne peut balayer d’un revers de main, en invoquant l’autonomie de l’art.

Guy Rouge