Une crise de plus pour les économies du Sud

Au-delà des potentielles conséquences sanitaires et humaines terribles du développement massif de la pandémie, les effets socio-économiques se font déjà sentir en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient et Asie, dans des pays aux ressources financières et médicales insuffisantes.

Ebola 2015, Kaloum, Conakry - UNMEER Martine Perret
Durant l’épidémie d’Ebola, Kaloum, Guinée Konakry, janvier 2015

Comme le souligne l’universitaire Adam Hanieh, la situation actuelle est la conséquence directe « d’une économie mondiale systématiquement structurée autour de l’exploitation des ressources et des peuples du Sud. En ce sens, la pandémie est en grande partie une catastrophe sociale et humaine – et non pas simplement une calamité d’origine naturelle ou biologique ».

Les pays dits émergents ont déjà vu plus de 83 milliards de dollars s’envoler suite aux flux de capitaux sortants et aux annulations d’investissements depuis le début de la crise. C’est « la plus importante sortie de capitaux jamais enregistrée » selon le Fonds Monétaire International (FMI). 

À cela s’ajoute la très forte probabilité d’augmentation de la dette des pays dits émergents. En cas de resserrement des conditions financières et de hausse des coûts d’emprunt, sur fond de récession mondiale profonde, ces pays auraient plus de mal à assurer le service de leur dette. En 2018, 46 États consacraient déjà une part plus importante de leur PIB au service de leur dette publique qu’à leur système de santé. À la fin de l’année 2019, l’Institut de finance internationale a estimé que la dette des marchés émergents s’élevait à 72 000 milliards de dollars, un chiffre qui a doublé depuis 2010. 

Les institutions internationales ont fait des annonces en faveur de mesures de soutien. Mais le président de la Banque Mondiale (BM), David Malpass, avertit déjà de leur caractère conditionnel : « les pays devront mettre en œuvre des réformes structurelles ».

Une population vulnérable

La structure de la force de travail de nombreux de ces pays est une autre question à prendre en considération. Les mesures de confinements et/ou restrictives mises en place par la majorité des États du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie ne sont pas une option viable pour la grande majorité des classes populaires et paupérisées. Celles-ci travaillent dans le secteur informel ou sont dépendantes de salaires journaliers incertains sans aucune protection sociale. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) estime le nombre de travailleurs·euses employé·e·s dans le secteur informel à environ 2 milliards de personnes, soit 61,2% de la population active mondiale.

Il faut aussi prendre en compte la précarisation d’autres secteurs de travailleurs·euses. En effet, nombre d’entre eux·elles verront très probablement leur salaire baisser massivement faute de systèmes sociaux développés permettant des compensations financières significatives. C’est la conséquence de décennies de politiques d’austérités néolibérale imposées par leurs classes dirigeantes et les institutions monétaires internationales. Selon un communiqué de l’OIT publié à la mi-mars 2020, près de 25 millions de pertes d’emplois dans le monde sont à craindre. Dans le même temps, le nombre d’individus dans ces pays gagnant moins de 3,20 dollars par jour en parité de pouvoir d’achat augmentera de près de 20 millions.

La situation est également dramatique pour les populations rurales qui dépendent de la vente de leurs produits dans les petites et grandes villes.

L’impossible confinement 

De plus certaines mesures de confinements ont provoqué des effets désastreux pour de larges segments des populations qui vivent dans des endroits surpeuplés ou sont sans domicile. En Inde, à New Dehli, des millions de travailleurs·euses originaires des villages avoisinants ont tenté de fuir à pied vers les États voisins car privé·e·s de toutes ressources. 

Le ralentissement économique dans les pays du Nord, particulièrement dans des secteurs clés où les travailleurs·euses migrant·e·s sont souvent fortement présent·e·s, et la fermeture des frontières va affecter les économies des pays dit émergents. Les transferts d’une partie des salaires des travailleurs·euses vers leurs familles et proches dans leur pays d’origine vont baisser. Or, en 2016, un peu plus de 30 % des 179 pays pour lesquels des données étaient disponibles ont enregistré des niveaux des transferts de fonds supérieurs à 5 % de leur PIB. 

Dans cette perspective, la question de la solidarité internationaliste doit être au centre de toute réponse à la crise. Nous réclamons notamment l’annulation des dettes de ces pays, la garantie de la satisfaction des besoins fondamentaux du plus grand nombre, et en premier lieu des logements décents et des soins pour toutes et tous. De même, il faut s’opposer à la fermeture des frontières et plus généralement à toutes les politiques racistes et xénophobes au sein des classes dirigeantes, et à la montée des mouvements fascisants et fascistes.

Le virus n’a pas de frontière ou de nationalité, notre solidarité également !

Nos destins sont liés ! 

Joe Daher