Forum social européen: bilan et perspectives
Forum social européen: bilan et perspectives
Sophie Zafari représente la Fédération syndicale unitaire (FSU), syndicat
majoritaire dans la fonction publique française, au secrétariat dorganisation du Forum social européen. Elle esquisse un premier bilan du FSE. (réd)
Quels sont les chiffres de la participation au FSE de Paris?
On a compté 51000 inscriptions sur lensemble du Forum. Cest un bilan très positif, supérieur à ce que les pronostics les plus optimistes prévoyaient. Le fait marquant est que les participants sont venus de toute lEurope. Les pays de lEst ont été bien mieux représentés quau FSE de Florence. Parmi les principales délégations figurent notamment celles de Pologne, de Russie et de Hongrie. La Tchéquie était quasiment absente lan passé, alors que des dizaines de militants se sont déplacés cette fois-ci. Au niveau des mouvements sociaux, lélargissement à lEst fonctionne donc à merveille… Limplication des délégations est-européennes a dailleurs commencé dès les premières réunions dorganisation, bien en amont de lévénement lui-même. Le FSE a mis sur pied un groupe de travail dénommé «Elargissement à lEst», qui continuera à oeuvrer en faveur de lintégration des mouvements sociaux de ces pays.
Plus généralement, les pays les plus représentés étaient lItalie, lEtat espagnol, lAllemagne et la Grande Bretagne. Les Espagnols, pour ne citer queux, étaient environ 5000. On a dénombré en tout environ 20000 participants non Français. Cest un progrès si on compare ce chiffre à la proportion de non Italiens présents à Florence.
Y a-t-il des évolutions dans les thématiques abordées lors du Forum?
On assiste clairement à un élargissement du nombre et du type dacteur social présent au sein du FSE. Cette diversification sexprime par exemple dans limportance croissante quont prises cette année les questions liées à limmigration. La quasi totalité des organisations travaillant sur ce terrain en Europe était représentée au Forum. Autre exemple: la participation des jeunes à la préparation et aux débats a très nettement augmenté. La mobilisation de la jeunesse avait été jusquà présent de moindre ampleur en France que dans dautres pays européens. Il semble que nous soyons en passe de rattraper notre retard dans ce domaine. Les organisations syndicales convergent elles aussi sur les revendications altermondialistes. Tous les syndicats français, à lexception notable de la CFDT, ont participé au FSE. Une part grandissante dorganisations membres de la Confédération européenne des syndicats (CES) sintègre au mouvement social comme la CGIL italienne et la Confédération chrétienne belge, qui avait ainsi dépêché des centaines de délégués.
Comment sopère la jonction entre le FSE et les luttes syndicales nationales qui ont eu lieu cette année, notamment en France?
Après léchec des grèves de mai-juin dernier, le mouvement syndical français était plutôt démoralisé. La rentrée sannonçait plutôt morose. Cependant bon nombre de militants qui sétaient mobilisés à lépoque contre le gouvernement Raffarin ont utilisé le FSE et les Forums sociaux locaux pour prolonger leur réflexion et leur mobilisation. Les syndicats enseignants, très en vue cette année, ont animé de nombreux ateliers. Dimportants débats ont eu lieu entre organisations syndicales de pays différents concernant la réforme des retraites. Les intermittents du spectacle, qui sont toujours en lutte, sont parvenus à sensibiliser un public très large aux problèmes liés à leur statut.
Les forums sociaux continentaux ne peuvent pas se cantonner au rôle de «caisses de résonance» des mobilisations internationales. Ils doivent intégrer lensemble des formes de résistance au néolibéralisme, quelle que soit léchelle – locale, nationale ou internationale – à laquelle celles-ci se déploient. De nombreux mouvements sociaux se saisissent donc légitimement de ce tremplin pour faire entendre leur voix.
Ce qui frappe avant tout dans ce mouvement social, cest lextrême diversité des sensibilités politiques qui y coexistent…
Le défi devant lequel nous nous trouvons est dêtre capable de conjuguer lunité et la diversité du mouvement social. Pour le moment, il me semble que ce défi a été plutôt bien négocié. Ce dautant plus que lobjectif de nos adversaires a toujours été de chercher à nous diviser, en insistant systématiquement sur les différences existant entre nous. Quil y ait des débats au FSE, que ces débats soient intenses, cest exactement ce quil nous faut! On doit surtout éviter daller vers des formes superficielles de convergence, qui se feraient autour dun plus petit dénominateur commun auquel personne nadhèrerait vraiment.
Deux problèmes se posent à la suite de ce constat. Dune part, comment être réellement efficace dans lorganisation des mobilisations, tout en respectant scrupuleusement les sensibilités de chacun. De lautre, comment répondre aux aspirations légitimes dun nombre grandissant dacteurs sociaux en matière délaboration dalternatives concrètes au néolibéralisme. La réponse à ces questions sera forcément trouvée dans la pratique.
Le rapport du mouvement social avec les partis politiques semble toujours problématique. Comment ce problème sest-il exprimé au cours du FSE?
Cest un problème non résolu, et qui le restera encore pour un certain temps. Il existe des cultures différentes face à la question du rapport entre partis politiques et mouvement social. En Italie, Rifondazione communista appartient à la coordination des mouvements sociaux sans que quiconque mette en doute la légitimité de sa présence. Ceci vaut également pour des pays aussi différents que la Grèce ou lInde, où les partis politiques sont organiquement liés aux mouvements sociaux.
La France est le pays où ce problème se pose avec le plus dacuité. On y rencontre une peur permanente de la récupération électorale par les partis politiques. Ceci sexplique par le poids des traditions, qui remontent notamment à la Charte dAmiens1, et qui témoignent dune volonté dindépendance très forte des syndicats par rapport au champ politique.
Quelle est ton opinion concernant le traitement médiatique du Forum?
La présence du Forum dans les médias a été très importante, ce qui est tout de même satisfaisant. Le FSE a été présenté dans la presse écrite, à la radio et à la télévision comme un véritable événement politique. Le journal patronal Les Echos a même publié un supplément de 12 pages pour expliquer le FSE à ses lecteurs…
Le traitement médiatique du FSE nest cependant pas allé sans problème, certaines thématiques ayant été systématiquement mises en avant. Le débat concernant la présence de Tariq Ramadan au Forum a occulté des questions à mon sens bien plus importantes. Le problème du «débouché politique» du mouvement a lui aussi été posé de manière biaisée. Dans le fond, les journalistes ne comprennent pas la nature du mouvement social actuel. Ils ont tendance à aller puiser pour le comprendre dans des références du passé, à mon sens largement éculées…
Propos recueillis par Razmig Keucheyan
- La Charte dAmiens, adoptée par la Confédération Générale du Travail (CGT) en 1906, affirme lindépendance du mouvement syndical par rapport aux partis politiques.