Colombie
Répression à Bogota : qui a donné les ordres ?
Après les accords de paix, signés en 2016, entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC, les médias dominants donnaient l’image d’un pays « pacifié ». Or, la répression des mouvements sociaux n’a jamais cessé.

Les 9 et 10 septembre, la police nationale colombienne a tiré sur des manifestant·e·s lors des protestations contre la mort de Javier Ordóñez, tué par des agents. Un nouveau massacre, le 56e depuis le début de l’année.
Il y a au moins 11 morts et 403 blessé·e·s, dont 72 par balle. Claudia López, maire de Bogota, affirme que les autorités policières « ont désobéi aux instructions expresses et publiques de la mairie » et conclut par cette question : « Alors, à qui obéissent-elles ? ». Les institutions se renvoient la balle, alors que le sang de la nuit passée sèche sur le pavé couvert de décombres.
Les protestations avaient commencé après l’assassinat de Javier Ordoñez. Accusé d’avoir enfreint la quarantaine, cet homme de 43 ans fut soumis par des policiers à des décharges électriques constantes. Les légistes ont en outre constaté neuf fractures du crâne et des coups sur la pommette, le cou, les épaules et le thorax qui ont causé sa mort. Un passage à tabac effectué dans un Commando d’action immédiate (CAI) [unité de police de quartier].
Une longue liste de méfaits
Durant deux nuits, des CAI furent incendiés. Et pas seulement à cause du cas de Javier. La liste des méfaits qui y ont été commis est interminable :
- à Bosa Laureles, des policiers ont violé une femme ;
- à Codito, des policiers ont torturé des détenus et les ont obligés à jouer à la roulette russe ;
- à Soledad, des policiers ont torturé et détroussé des défenseurs des droits humains ;
- à La Gaitana, un jeune fut séquestré et torturé ;
- à Britalia, douze policiers étaient liés à un micro-trafic de drogue ;
- à Oneida, des policiers ont escroqué des habitant·e·s ;
- à Las Americas, quatre policiers ont violé une fille de 13 ans ;
- à San Diego, deux femmes de 22 et 23 ans ont dénoncé des abus sexuels commis par des policiers durant les protestations du 10 septembre.
Après deux nuits de massacre commis par l’État, le ministre de la Défense Carlos Holmes Trujillo affirme que les protestations sont orchestrées par les réseaux sociaux et déclare : « On renforcera le dispositif policier à Bogota avec 750 hommes, plus 850 en provenance d’autres régions du pays. 300 soldats de la 13e brigade de l’armée appuieront le travail de la police nationale dans la capitale colombienne ».
À cela, s’ajoutent les 55 massacres déjà commis en Colombie durant l’année 2020. Selon l’Institut d’études pour le développement et la paix, en neuf mois douze massacres se sont produits à Antioquia, huit dans le Cauca, Nariño et le Nord de Santander, cinq à Putumayo, quatre dans le Choco, deux à Córdoba, la vallée del Cauca et Bolivar, trois dans l’Atlantique, une dans l’Arauca, Huila, Magdalena, Tolima, Caldes, Cundinamarca, Meta et Cesar. Malgré le fait que Iván Duque [président de la république] insiste pour qualifier ces faits d’« homicides collectifs », il n’existe pas de nuances. La tuerie de personnes, généralement sans défense, causée par une attaque armée est un massacre.
Bogotá brûle et tous sont coupables, sauf ceux qui tirent
Il faut souligner que la brutalité policière n’est pas nouvelle en Colombie. Il y a un peu plus de deux mois, Anderson Arboleda, un jeune de 24 ans, est mort à Puerto Tejada, après qu’un policier l’ait frappé à la tête pour avoir enfreint la quarantaine. Tout comme en novembre 2019 : Dylan Cruz fut assassiné par l’ESMAD avec une escopette calibre 12 durant la grève nationale.
Dans son allocution du 12 septembre, Iván Duque a affirmé que la police a fait preuve d’une attitude courageuse durant le massacre, il a mentionné des arrestations et invité la population à la confiance envers les institutions. On sait également que le président a rejeté la réforme structurelle de la police. Maintenant, alors que le sang a séché, les politicien·ne·s « offrent le pardon aux victimes ». Les actes symboliques continuent et la direction de l’institution reste intacte après que, selon les paroles de la maire, se soit produit le « fait le plus grave survenu à Bogota depuis la prise du Palais de justice », le 6 novembre 1985 [prise d’otages par le Mouvement du 19 avril, qui se solda par une centaine de morts, tués par l’armée].
Nicolás Rocha Cortés (journaliste et photographe colombien). Traduction de l’espagnol et adaptation : Hans-Peter Renk