Chili

Le peuple enterre la Constitution héritée de Pinochet

Le 25 octobre, le résultat du scrutin concernant la création d’une Assemblée constituante souveraine chargée d’élaborer une nouvelle Constitution a dépassé toutes les espérances.

Rassemblement à Santiago du Chili lors du soir du vote sur l'assemblée constituante
Rassemblement massif à Santiago le soir du vote

 L e peuple chilien vient ainsi d’enterrer la Constitution de Pinochet et des Chicago Boys (économistes néolibéraux disciples de Milton Friedman), mais de grands défis restent à l’ordre du jour.

Ce scrutin fait suite à la crise ouverte par les manifestations d’octobre 2019 : 1,2 millions de personnes avaient alors exigé la démission du président Sébastian Piñera et rejeté le système hérité de la dictature. En effet, en remettant le pouvoir aux civils, le gorille Augusto Pinochet avait imposé – hormis l’amnistie des crimes commis sous son régime (11 septembre 1973 – 1990) – une Constitution garantissant la reproduction perpétuelle au pouvoir des élites conservatrices et le transfert au secteur privé de services publics essentiels (éducation, santé, protection sociale).

Ainsi, le frère de l’actuel président Sebastian Piñera avait concocté un système de retraites entièrement basé sur la capitalisation, une escroquerie marginalisant les personnes incapables d’en payer les cotisations élevées. Les divers gouvernements ayant succédé à Pinochet – qu’ils soient de droite ou supposément « de gauche » (lors des présidences de Ricardo Lagos ou de Michelle Bachelet) – ont accepté ce cadre institutionnel néolibéral : « La santé et l’éducation sont hors de prix pour beaucoup de Chiliens, tandis que les retraites sont souvent misérables. Une grande partie des familles sont surendettées. Il n’est pas rare d’enchaîner deux emplois pour pouvoir joindre les deux bouts. Et certaines des familles les plus modestes consacrent aux transports un tiers de leurs maigres revenus » (Marc Hufty, 24 Heures, 27.10.2020).

Une Constituante démocratique

Avec une participation de 50,8 % des électeurs·trices inscrit·e·s, ceux et celles-ci ont tout d’abord approuvé par une majorité de plus de 78 % des suffrages l’enterrement définitif de la Constitution pinochetiste. Alors que le gouvernement de Sébastian Piñera proposait une Constituante « mixte » – formée pour moitié de citoyen·ne·s élu·e·s et de parlementaires, une majorité de 79 % des suffrages s’est prononcée en faveur d’une Assemblée constituante souveraine composée exclusivement de citoyen·ne·s élu·e·s. Elle devra être élue dans les six mois qui viennent, en parallèle d’élections déjà programmées dans les collectivités territoriales.

Il convient de noter que l’Assemblée constituante devra obligatoirement être paritaire, composée au moins par 45 % – et un maximum de 55 % – de femmes. « Ce sera le premier pays du monde à rédiger une Constitution de cette façon, nous devons être représentées à notre juste mesure lors de l’élaboration de ce nouveau texte », affirme Julieta Suarez-Cao, professeure à l’Université pontificale catholique du Chili (Le Monde, 27.10.2020), à l’origine de cette innovation institutionnelle.

La Constituante disposera d’un an maximum pour rédiger un nouveau texte. Chaque article constitutionnel devra être approuvé par une majorité des deux tiers. La nouvelle Constitution fera ensuite l’objet d’un référendum, qui devrait se tenir au plus tard au début de l’année 2022. Pour l’anthropologue social Pablo Ortuzar, « il y aurait tout intérêt à faire des réformes en parallèle du processus constituant pour répondre aux demandes sociales urgentes de la société » (Le Monde, 27.10.2020), notamment en ce qui concerne l’actuel système des retraites.

Les partis gardent la main

Toutefois, la composition de la Constituante a été conçue pour tenter de barrer la route à des candidatures indépendantes des forces politiques aujourd’hui dominantes. En effet, pour faire acte de candidature, il faut obtenir un nombre minimum de signatures. Or, pour un·e indépendant·e, obtenir ces signatures risque d’être compliqué en cas de pandémie. En effet, si le gouvernement a dû finalement organiser ce scrutin, il a veillé par de telles clauses à marginaliser autant que faire se peut la présentation de candidatures en faveur de changements structurels et non d’un rafistolage de l’actuel système politique.

Même si « ce vote massif pour une Convention constituante illustre bien l’immense rejet de la classe politique par les Chiliens. L’un des grands défis des mois à venir sera d’élire des représentants qui aient davantage de légitimité auprès de la société » (Sylvia Eyzaguine, Le Monde, 27.10.2020).

Hans-Peter Renk