Grève du climat :
« Nous avons un plan »
Après les plans annoncés par différents gouvernements, la Grève du Climat a publié à son tour un Plan d’Action Climatique pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2030. La différence tient au fait que cet objectif doit ici respecter en même temps le principe de justice climatique. Sans surprise, le changement de système est à l’ordre du jour, mais comment ? Présentation du document à partir d’un entretien avec les grévistes du climat Lena Bühler et Jonas Kampus.
La Grève du Climat a publié au début de cette année son très attendu Plan d’Action Climatique (Climate Action Plan, CAP) sur lequel des grévistes, des scientifiques et des expert·e·s de différents secteurs ont travaillé durant plus d’une année. Malgré un écho modéré au sein de la presse bourgeoise romande, il s’agit bien de l’un des projets phares de ce mouvement. Et pour nous, militant·e·s de la gauche radicale, il s’agit d’un document précieux esquissant des solutions climatiques ou intersectionnelles (parfois même écosocialistes et anticapitalistes) ambitieuses et souvent chiffrées et sourcées. Il permet également de mieux comprendre les courants politiques qui coexistent au sein d’un mouvement encore très hétérogène, mais dont les contours idéologiques de son/ses centre(s) tendent toujours davantage vers l’écosocialisme, la décroissance et l’anticapitalisme.
Mais de quoi parle-t-on exactement dans ce Plan d’Action Climatique ? Quelles sont les mesures esquissées et actions envisagées pour les implémenter ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Quid de l’avis des grévistes ? Plus généralement, comment envisagent-ils·elles l’avenir de cette prise de position à l’allure programmatique ?
Dans son préambule introductif et prospectif, la Grève du Climat pose un constat ambitieux et critique : « Net zéro d’ici 2030, c’est possible ! La politique institutionnelle ne nous a pas montré la voie à suivre pour sortir de la crise climatique et nous avons donc dû nous atteler nous-mêmes à cette tâche. Le Plan d’Action pour le Climat montre des moyens techniquement réalisables et socialement justes pour satisfaire notre revendication net zéro d’ici 2030. »
En se référant au rapport spécial du Groupe d’expert·e·s intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2018, la Grève du Climat réaffirme l’importance cruciale que revêt l’objectif de contenir un réchauffement climatique global en dessous des 1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle (1850), afin d’éviter une boucle de rétroaction sans fin qui rendrait le réchauffement de la planète hors de contrôle. Selon les grévistes, l’objectif du Conseil fédéral d’atteindre la neutralité carbone de la Suisse d’ici 2050 est insuffisant et va à l’encontre de la réalité scientifique. Le budget carbone sera littéralement explosé en poursuivant un tel scénario climatique. Les récentes déclarations de la Confédération concernant leur « plan » ne peuvent que renforcer le constat de l’échec de la politique institutionnelle bourgeoise.
De son côté, la Grève du Climat part de l’hypothèse – toujours en suivant les calculs du GIEC en 2018 – que l’atmosphère ne peut absorber plus de 420 Gigatonnes en équivalent CO₂ si nous désirons nous garantir 66 % de chance de limiter le réchauffement global à 1,5 °C. En nous fondant sur l’année 2020, il nous resterait désormais moins de huit années avant que ce budget carbone soit épuisé… C’est bien pour cela que les nations les plus riches, dont la Suisse, doivent assumer leur responsabilité historique et actuelle, car elles disposent de capacités financières plus importantes. D’une part, elles doivent donc mener une décarbonation plus rapide (2030 au plus tard). D’autre part, elles doivent soutenir financièrement les populations et régions les plus vulnérables et affectées par la catastrophe climatique.
Des propositions concrètes et ambitieuses
Selon Jonas Kampus, le Plan d’Action Climatique montre qu’un « autre monde est possible » en combinant des mesures concrètes (138 au total sur plus de 300 pages) et une vision positive de l’avenir. LenaBühler surenchérit en affirmant que ce plan démontre que les revendications de la Grève du Climat sont politiquement et scientifiquement possibles, admettant aussi que des améliorations sont encore nécessaires dans chaque secteur. Pour les deux, toutefois, il est évident que certaines de ces mesures devraient être immédiatement implémentées si nous désirons opérer un changement en profondeur de nos institutions économiques et politiques.
Le Plan d’Action Climatique propose douze thématiques : politiques intersectorielles, mobilité, bâtiments et aménagement du territoire, secteur de l’industrie et des services, approvisionnement énergétique, agriculture et système alimentaire, émissions négatives, secteur financier, structures économiques et politiques, coopération internationale, éducation et adaptation. On notera notamment l’absence de prise en compte de l’impact du numérique qui aujourd’hui équivaut déjà à 4 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020, avec un taux de croissance qui continue d’augmenter selon l’étude sur la sobriété numérique présentée par The Shift Project en 2019.
Malgré cela et certaines incohérences, les propositions allant des plus communes aux plus ambitieuses sont nombreuses et esquissent des alternatives concrètes (voir encadré).
Perspectives politiques
D’après Lena, dans l’immédiat, il est urgent d’ouvrir des discussions avec certaines organisations et mouvements politiques (Grève féministe, syndicats, associations écologistes, etc.) pour les impliquer plus activement dans la construction de la Grève pour l’Avenir et les convaincre qu’une rupture systémique est nécessaire et désirable. Selon elleux, le Plan d’Action Climatique pourrait être un catalyseur d’actions plus radicales en les légitimant auprès d’une grande partie de la population. Pour Jonas, le Plan d’Action Climatique doit désormais évoluer et/ou servir de base à un programme de transition, notamment en raison de la crise systémique du capitalisme.
Dans cette perspective, les groupes locaux de la Grève pour l’Avenir ainsi que les personnes et communautés les plus affectées devront être au cœur de la redéfinition d’un Green New Deal radical qui s’attaquerait pleinement aux questions les plus urgentes et traiteraient davantage des fondements du système capitaliste. De ce fait, les deux grévistes convergent sur la nécessité d’avancer un programme de transition au sein de la Grève pour l’Avenir et préparer les conditions d’une grève générale, même si la forme et le contenu d’un tel plan reste à définir en commun.
Enfin, lorsqu’on leur demande quelles sont les revendications prioritaires, iels insistent sur la nécessité de redéfinir la propriété privée, de démocratiser l’économie, de réduire le temps de travail, mais aussi l’urgence à annuler toutes les dettes illégitimes et à apporter une aide inconditionnelle aux réfugié·e·s.
Steven Tamburini
Sur la base d’un entretien avec
Lena Bühler et Jonas Kampus
Quelques mesures du plan
Les mesures communes
- Faire des études d’impact environnemental et climatique pour tous les produits et services, remplacer la publicité commerciale par l’art et l’éducation ;
- Interdiction de la vente de carburant pour les véhicules à énergie fossile et de l’électricité fossile. Interdiction des voitures de grande taille et surpuissantes ;
- Un fonds climat pour la rénovation des bâtiments vers une haute efficacité énergétique. Obligation du solaire pour les toits compatibles ;
- Promotion des revenus alternatifs pour les agriculteurs·trices ;
- Obligation de rapports sur l’impact climatique des institutions financières.
Mentionnons encore l’idée d’un programme public pour les emplois verts, le remplacement du produit intérieur brut (PIB) par l’indice de développement durable (IDD), et des formations environnementales proposées à toutes les personnes employées et apprenties.
Les mesures plus ambitieuses
- Moratoire immédiat sur les nouvelles infrastructures jusqu’à 2030 ;
- Création d’une banque climatique qui prêterait des crédits (capital d’emprunt) à des « agences climatiques » pour leur permettre de mettre en œuvre des projets d’infrastructure à grande échelle ;
- Villes sans voiture à l’horizon 2025 ;
- Interdiction de la spéculation sur les produits agricoles et alimentaires ;
- Décarbonisation du secteur financier d’ici 2030 et interdiction immédiate des nouveaux investissements, des crédits et des services d’assurances pour les entreprises actives dans l’extraction de combustibles fossiles ;
- Réduction immédiate de la semaine de travail à 4 jours par semaine puis progressivement les heures d’une semaine à temps plein à 24 heures par semaine d’ici 2030.
Le plan propose également de renforcer l’économie des soins, remplacer les sociétés par des fondations et des coopératives, un nouveau concept de propriété, une taxe de protection climatique sur les gros avoir (la moitié des revenus étant reversée à des projets d’atténuation du dérèglement climatique dans les pays du Sud) et le contrôle des capitaux.
Mentions spéciales
- Meilleure répartition de l’emploi sur le territoire pour réduire la distance entre domicile et lieu de travail ;
- Un programme d’aide pour la formation du personnel des « énergies renouvelables » ;
- Davantage de personnes dans le secteur agricole ;
- Financement des technologies à émissions négatives (negative emission technologies, NETs) en fixant le prix des émissions de gaz à effet de serre ;
- Réseau national d’ateliers sur le climat dans tous les districts et les villages (faisant partie des services publics) afin de fournir des équipements de location, d’offrir des services de réparation et d’organiser des formations ;
- Financement de la phase initiale d’un Forum mondial pour le climat ;
- Droits démocratiques pour toutes les personnes qui résident sur le sol suisse dès l’âge de 14 ans ;
- Traité de non-prolifération des combustibles fossiles (Fossil-Fuel Non-Proliferation Treaty);
- Élaboration d’un cadre légal pour aider les réfugié·e·s climatiques.