Covid-19, An 01
La crise économique actuelle est l’une des plus graves de l’histoire récente. Elle est inédite sur plusieurs plans. Contrairement à celles de 1929 ou 2008, elle n’a pas pour déclencheur une crise financière. Retour sur les causes et les conséquences économiques, un an après le déclenchement de la crise.
Face à l’incapacité de gouvernements à prendre en charge la situation épidémique par la mise en place de mesure de prévention rapides et efficaces, les États sont forcés de prendre des mesures de derniers recours: les confinements, dont l’intensité varie selon les pays et les régions. Ainsi, courant 2020, les gouvernements du monde entier décident, les uns après les autres, de réduire fortement, voire de mettre à l’arrêt les activités économiques, afin de protéger la population de la propagation du Covid-19. Les conséquences économiques sont immédiates. La production de richesses chute rapidement. Malgré les limites de l’indicateur, l’effondrement sans précédent des PIB nationaux, – 11,6 % au deuxième trimestre 2020 pour les pays de l’OCDE, indiquent la profondeur de la crise. Selon le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), le PIB suisse a reculé de 8,6 % entre fin 2019 et juin 2020.
Pas de retour à la normale en vue
Certain·e·s économistes et apprenti·e·s épidémiologistes, aveuglé·e·s par leur optimisme et leur foi en une prompte maîtrise de la pandémie, tablaient sur une reprise économique dite en «V», c’est-à-dire vive et rapide, dès la seconde moitié de 2020 (« Les tenants du « V » de la reprise défient la crise » 24 heures, 18.06.2020). Les économistes un tant soit peu sérieux, comme Michel Husson, ont très vite contesté cette hypothèse. Une analyse rigoureuse de la situation économique et une compréhension avertie des risques épidémiologiques permettait, fin avril 2020 déjà, d’anticiper la survenue de vagues successives d’infection, avec leur corollaire de confinements et conséquences sur l’activité économique.
Un an plus tard, alors que des seconds voir troisièmes (semi-)confinements sont en cours, l’activité économique n’est certes pas aussi basse qu’au deuxième trimestre 2020. En Suisse, elle a même repris des couleurs. Le PIB pour le troisième trimestre 2020 reste tout de même inférieur de 2 % à celui d’avant la crise. Les tendances pour le quatrième trimestre 2020 et le premier trimestre 2021 sont à la stagnation. On peut d’ores et déjà donner raison au pronostic de crise prolongée et disqualifier l’hypothèse d’une reprise en « V ».
Recours massif au chômage partiel
Les effets de la crise se font en particulier ressentir sur l’emploi. L’élévation du chômage est importante, mais reste relativement contenue en comparaison avec la chute de l’activité économique. Le taux de demandeurs·euses d’emploi est monté à 3,9 %, fin février 2020, à 5,1 % en mai pour culminer à 5,3 % fin septembre, soit une augmentation de 37 %. Elle est mitigée grâce au recours massif au chômage partiel, la réduction des horaires de travail (RHT). Au plus fort du confinement, plus d’1,3 million de travailleurs·euses ont bénéficié des RHT, soit plus du quart de la population active. Le chômage partiel a diminué avec l’assouplissement des mesures sanitaires durant l’été. Selon les dernières données disponibles, en août 2020, au moins 300 000 travailleurs·euses en bénéficiaient encore. Ce nombre a augmenté à nouveau dès le mois de novembre, après la mise en place de nouvelles restrictions sanitaires.
Il est encore trop tôt pour mener une évaluation précise des conséquences de la crise sur les fermetures et les faillites d’entreprises en Suisse. Les différentes aides Covid et autres crédits exceptionnels aux entreprises ont pour effet de retarder celles-ci. Les pleins effets de la crise sont ainsi dilués. Il est très probable qu’ils se fassent ressentir encore longtemps, voire s’approfondissent.
Pas la crise pour tout le monde !
Au plan international, certaines fortunes explosent, à l’image de celle de Jeff Bezos fraîchement ex-PDG d’Amazon. Le magazine Forbes estime la croissance de sa fortune depuis le début de la crise à 76 milliards de dollars. Elle se monte aujourd’hui à plus de 191 milliards de dollars. Cet enrichissement peut s’expliquer en partie par l’augmentation massive du recours au commerce en ligne, dont Amazon est l’un des leaders mondiaux. D’autres entreprises tirent de fortes plus-values de la situation. Au sein du secteur pharmaceutique, quelques managers et gros actionnaires doivent se frotter les mains. L’entreprise suisse Novartis a vu grimper le bénéfice net de son activité principale de 13 % en 2020, qui s’établit à 8,1 milliards de dollars.
AstraZeneca, groupe pharmaceutique britannique, a vu son bénéfice net plus que doubler en 2020, à 3,2 milliards de dollars. Pour Pfizer, rien que les ventes de vaccins devraient rapporter plus de 15 milliards de dollars en 2021 au groupe étasunien !
Un autre facteur explique l’explosion de certaines fortunes. Déjà avant la crise déclenchée début 2020, nous assistions au gonflement d’une bulle spéculative sur les marchés financiers. L’effondrement de l’activité économique en 2020 a provoqué une panique boursière qui a fait chuter les principaux cours mondiaux. Mais ce début de crise financière a été contenu par la réaction rapide des États et des banques centrales, alimentant d’autant plus la spéculation. Les banques centrales étasunienne (FED) et européenne (BCE) ont approfondi leurs mesures d’injection de quantités considérables d’argent dans les marchés financiers. Par exemple, la FED achète de manière illimitée des titres de dette de plus en plus divers.
La BCE prolonge et perpétue sa politique de rachats de titres de dette publique sur les marchés financiers, mécanisme appelé quantitative easing (assouplissement quantitatif), au rythme de 20 milliards d’euros par mois. Ces politiques dites « non conventionnelles » dopent les marchés boursiers. Quelques-un·e·s parmi les plus fortuné·e·s et les grands groupes financiers en tirent de juteux profits. L’UBS, première banque suisse, a publié un bénéfice net 2020 en hausse de 54 %, à 6,6 milliards de dollars, porté par la gestion de fortune et la banque d’investissement.
Une autre mesure que les banques centrales appliquent pour soutenir l’économie est la baisse des taux d’intérêt, dont elles réévaluent le niveau au jour le jour. Ces taux dits «directeurs» sont aujourd’hui à des niveaux historiquement très bas voir négatifs. La FED applique des taux entre 0,00 % et 0,25 %.
Ceux de la Banque Nationale Suisse oscillent entre –0,75 % et 0 %. Cette manœuvre vise à baisser le coût du crédit, et donc de stimuler les investissements. Or, la productivité du travail reste désespérément en berne depuis des décennies en Occident. Investir dans la sphère productive est donc peu rentable.
En somme, déjà avant le Covid-19, l’économie mondiale était au bord du gouffre. Les mesures « non conventionnelles » et la fixation de taux d’intérêt bas étaient des remèdes qui se sont avérées être inefficaces pour relancer l’investissement – donc l’économie. Sans surprise, leur prolongement pour faire face à la crise actuelle ne favorise que la sphère financière.
Hausse des dettes publiques
À l’heure actuelle, l’ensemble des mesures de soutien économique engagées par le Conseil fédéral se chiffre à plus de 70 milliards de francs. À cela s’ajoutent les aides financées par les cantons. Face à ces dépenses et à l’augmentation des dettes publiques qui en résulte, les néolibéraux sont en embuscade.
Après une relative accalmie, ils·elles vont ressortir leur vieille antienne : l’endettement public doit appeler la rigueur budgétaire ; les mécanismes de frein à l’endettement doivent être respectés, afin de ne pas laisser un fardeau pour les générations futures. Nous ne sommes donc pas à l’abri de futures cures d’austérité et de réduction des dépenses pour les services publics pour éponger les dettes contractées pour faire face au Covid-19.
Il faut combattre frontalement ces idées et les politiques d’austérité budgétaire qui en découlent. Premièrement, cette rhétorique est fondée sur une analogie moraliste entre l’État et un·e individu·e. Or il est absurde de mettre sur le même plan les dettes publiques et celles, privées, d’un ménage. Contrairement aux individu·e·s, l’État possède des outils politiques et économiques propres pour la gestion de sa dette. Lorsqu’elles arrivent à échéance, il peut réemprunter de l’argent afin de les rembourser. C’est ce que l’on appelle faire « rouler sa dette ». Deuxièmement, un travail scientifique et économique rigoureux montre que l’endettement public est très souvent bien plus soutenable que ce que les penseurs néolibéraux veulent nous faire croire. Il n’y aucune preuve d’un seuil limite du ratio dette publique/PIB au-dessus duquel la dette ne serait plus soutenable. Le traité de Maastricht, règlement de l’Union Européenne en la matière, le place par exemple arbitrairement à 60 %. De plus, les taux d’intérêts sont historiquement très faibles, voire négatifs comme vu précédemment. Ce qui implique que l’augmentation de l’endettement public n’est pas problématique à court et moyen termes, tant que les taux d’intérêts restent bas. Ce sont ces derniers qui déterminent le coût de la dette, ce qu’on nomme « le service » ou « la charge » de la dette. Ce coût baisse d’ailleurs d’année en année, tant en Suisse que dans la zone Euro.
Pour un endettement solidaire et écologique
Les prêtres et les prêtresses de la doxa néolibérale veulent nous faire croire que les questions de politiques économiques, monétaires et financières sont réservées aux soi-disant expert·e·s et technocrates des banques centrales prétendument neutres. Selon eux, les choix des banques centrales devraient être dictés par des principes supérieurs, transcendant les débats politiques. Or, les questions de financement des aides Covid, d’endettement public, de ses effets sur l’économie, la société et les travailleurs·euses que posent la crise actuelle, révèlent le caractère éminemment politique de ces choix macro-économiques. Les montants colossaux engagés pour les aides aux entreprises, le financement du chômage partiel, les diverses mesures d’urgences et le sauvetage des marchés financiers démontrent qu’il serait tout à fait imaginable et possible de débloquer des sommes considérables pour faire face au réchauffement climatique. Le financement public massif d’investissements planifiés démocratiquement pour mener la transition écologique et solidaire est techniquement possible. La situation actuelle le prouve: c’est une question de volonté politique.
Julien Nagel