Nouvel épisode dans la lutte Smood

Après la grève, une CCT !

Initié à Yverdon le 2 novembre 2021 par les livreurs·euses de la plateforme Smood et soutenu par le syndicat Unia, un mouvement de grève s’étendait rapidement sur plusieurs cantons romands. Cette lutte exemplaire lutte a pris une autre tournure six mois plus tard, en aboutissant à la signature d’une Convention collective de travail (CCT). 

Action des employés de Smood à Genève
Rassemblement de soutien aux employé·e·s de Smood, Genève, 9 juin 2022

Le 19 mai 2022, la majeure partie des livreurs·euses Smood a appris par le biais d’un communiqué de presse, et en même temps que les médias, qu’un accord a été trouvé entre leur employeur, Marc Aeschlimman, et Syndicom, syndicat des médias et de la communication. Cet accord se traduit par une CCT d’entreprise qui est censée réglementer les futures conditions de travail des livreurs·euses Smood, et entrera en vigueur en automne 2022. Y sont mentionnés un salaire minimum, la garantie hebdomadaire d’heures, la couverture de frais kilométriques, et surtout, la « paix du travail illimitée », selon les termes de la CCT.

Le double jeu de Syndicom

Or, même si les deux syndicats font partie de la même organisation faitière – l’Union syndicale suisse (USS) – leur approche face aux livreurs·euses en lutte l’automne dernier a été assez différente. Alors qu’Unia a soutenu et organisé les grévistes, Syndicom a mis du temps à communiquer son soutien dans ce conflit de travail, répondant être depuis plusieurs mois en discussions avec l’employeur. Dans le cas de figure précis, nous avons pu observer une division syndicale, et sa médiatisation, qui a surtout profité à la partie patronale. Même si les deux syndicats ont finalement réussi à s’asseoir ensemble durant la procédure de conciliation entre les parties en conflit, il semble aujourd’hui que Syndicom a joué double-jeu, en négociant avec Smood dans le dos du syndicat Unia et des grévistes. Résultat des courses, une CCT sortie du chapeau et qui n’a pas été discutée avec la base, selon les affirmations du responsable logistique d’Unia, Roman Künzler : « Les grévistes et leur syndicat le plus représentatif ont été totalement écartés des négociations, c’est inacceptable ! » (L’Evénement syndical, 25 mai 2022)

La manière dont cette CCT a été signée illustre assez clairement la nature perverse du partenariat social suisse et notamment la façon dont celui-ci peut être dévastateur pour des courants combatifs présents sur les lieux de travail, en vidant de toute substance les revendications des travailleurs·euses organisé·e·s. Ainsi, la CCT Smood fait abstraction des recommandations émises quelques mois plus tôt par la Chambre des relations collectives de travail devant laquelle tant Syndicom, qu’Unia avec la délégation de grévistes, et la partie patronale, ont comparu pendant plus d’un mois. Les conditions finales dans ce texte ne correspondent de loin pas aux demandes des grévistes. 

Une CCT conçue sur mesure pour l’employeur

Pour s’exprimer sur la CCT, les principales et principaux·ales concerné·e·s avaient seulement droit à deux jours de réflexion, en votant oui ou non à travers une application numérique. Selon le communiqué de presse de Syndicom daté du 23 mai 2022 : « Avec 323 voix pour et 22 voix contre, le personnel de livraison de Smood s’est exprimé clairement pour la nouvelle convention collective de travail. Les organes compétents de syndicom ont ratifié à l’unanimité la convention »

Dans le processus de négociations, nous pouvons mettre en doute la représentativité de Syndicom dans le cas de Smood parce qu’une importante partie des livreur·euse·s est syndiquée chez Unia. Cette dernière a déclaré avoir rassemblé environ 160 membres. D’autre part, nous pouvons nous interroger sur le processus de consultation et sur la validité de cette CCT. En effet, sur les 1200 livreurs·euses que Smood occupe au total, selon les chiffres communiqués par l’entreprise, moins d’un tiers a pu se prononcer sur le sujet.

La tournure de la bataille Smood montre parfaitement comment le partenariat social efface la conflictualité et dépossède les travailleurs·euses de leur outil de lutte le plus puissant qu’est la grève. Non seulement les livreurs·euses de Smood n’ont pas mandaté clairement Syndicom comme leur représentant, mais ces dernier·ère·s n’ont même pas pu convenablement s’exprimer sur ce que seront leurs conditions de travail. 

L’ironie du sort c’est que la CCT, surfant sur le mouvement de grève, interdit la grève et impose la paix de travail absolue : une claque pour le prolétariat du numérique que constituent les livreur·euse·s Smood comme les travailleurs·euses d’autres plateformes.

La responsabilité de ce mauvais résultat engage l’ensemble du mouvement syndical. Comment se battre efficacement, s’organiser démocratiquement, agir collectivement avec des mandats de la base que les dirigeant·e·s syndicaux·ales respectent ? C’est un débat à mener dans toutes les fédérations syndicales, dans la perspective de mieux préparer les futurs combats.

José Sanchez