Grande Bretagne
Les syndicats doivent briser leur lien organique avec le parti travailliste
La vague de grèves qui a débuté cet été en Grande-Bretagne, sans aucun doute la plus importante depuis une génération, ne montre aucun signe d’apaisement. Dans cette situation, les questions stratégiques s’aiguisent.

Les travailleurs·euses ont fait grève dans une grande variété de secteurs, dont les soins infirmiers, les transports, le nettoyage urbain, ainsi que sur les docks et dans les entrepôts d’Amazon. Cette semaine, 70 000 travailleurs·euses universitaires sont en grève. Les enseignant·e·s, les médecins et les pompiers pourraient également suivre le mouvement. Le problème commun à tous ces travailleurs·euses reste la crise actuelle du coût de la vie, aggravée par l’incapacité des syndicats à obtenir des augmentations de salaire correspondant à l’inflation depuis plus de dix ans. Cela signifie que les baisses de salaire réelles à long terme subies par les travailleurs·euses atteignent leur paroxysme à un moment où la crise s’intensifie. Les récentes annonces de nouvelles mesures d’austérité par le gouvernement conservateur ainsi qu’une révision à la baisse de ses promesses antérieures de prendre en charge une partie de l’augmentation des coûts de chauffage, indique qu’une nouvelle mobilisation sera nécessaire, et probable à ce stade.
Deux syndicats, le Rail, Maritime and Transport (RMT) et le Communication Workers Union (CWU), se sont imposés comme les leaders politiques de la vague de grèves. Leurs dirigeant·e·s ont pris la parole à plusieurs reprises lors de rassemblements et de manifestations, et ont joué un rôle de premier plan dans l’initiative «Trop, c’est trop» (Enough is enough). Bien que leur refus de s’engager avec la gauche extra-parlementaire organisée dans le cadre de la campagne Don’t Pay reste problématique, il témoigne d’une volonté des bureaucraties syndicales d’élargir le mouvement au-delà des lieux de travail et de faire de la crise du coût de la vie (et de la nécessité de la faire payer aux riches) une question clé dans toute la société.
Si l’axe central de la campagne est resté l’économie, on a également tenté de s’attaquer aux arguments anti-migrants, en refusant les récits de boucs émissaires de la droite et en incluant les travailleurs·euses migrant·e·s dans les conflits – par exemple les nettoyeurs·euses externalisé·e·s dans le métro et les trains.
L’élection, au début de l’année, de Sharon Graham au poste de secrétaire générale de UNITE – le deuxième plus grand syndicat britannique – a également donné une impulsion importante à la vague de grèves actuelle. Elle s’est présentée sur une plateforme de «retour au travail», cherchant à accroître les campagnes de syndicalisation et à encourager les conflits pour stopper l’offensive du patronat. Elle s’est également battue pour limiter le contrôle du parti travailliste sur la stratégie du syndicat.
Bien qu’elle ne soit pas une candidate de la base – elle a été responsable syndicale pendant de nombreuses années – Graham a été soutenue par les réseaux de la base des syndicats qui ont vu dans sa candidature une occasion d’intensifier l’activité militante et l’auto-organisation sur le lieu de travail. Jusqu’à présent, Graham a tenu ses promesses. L’encadrement s’est développé – tant en taille qu’en activité – sous sa direction et les grèves importantes dans les docks de Felixstowe et de Liverpool ont été, en grande partie, rendues possibles grâce à sa nouvelle approche.
Il est également frappant de constater que les syndicats en première ligne des grèves sont soit totalement coupés du Parti Travailliste (RMT), soit très critiques et indépendants (Unite et CWU). En effet, la stratégie électorale du leader du Parti Travailliste Keir Starmer, qui consiste à virer à droite et à attaquer la gauche, y compris les syndicats – pour démontrer son «éligibilité», est une impasse politique et industrielle. La présidente du plus grand syndicat du pays, UNISON, a par exemple été expulsée du Parti le 18 novembre 2022.
Le fait que les dirigeant·e·s syndicaux·ales aient été prêt·e·s à rompre publiquement avec le Labour et à dénoncer son opposition à la vague de grèves, sont des éléments importants dans la situation actuelle – brisant le cycle habituel dans lequel les bureaucraties syndicales brident l’action syndicale pour satisfaire l’aile droite du Parti travailliste parlementaire (PLP).
Gains sectoriels et limites politiques
Il est important de noter que la vague de grèves a commencé à enregistrer quelques victoires.
La plus importante victoire se trouve du côté des dockers qui, après avoir fermé à plusieurs reprises l’un des principaux ports britanniques et paralysé une grande partie du commerce du pays, ont obtenu une augmentation de salaire spectaculaire de 14,3 à 18,5%, ce qui a permis de lutter contre la hausse du coût de la vie. Il est bien sûr vrai que peu d’autres groupes de travailleurs·euses ont le même pouvoir structurel, mais cet accord n’en constitue pas moins une référence élevée de ce qui est possible, même en période de crise économique profonde. En un mot, c’est l’action qui fait la différence.
Parallèlement aux victoires industrielles, les initiatives de syndicalisation indiquent également une radicalisation plus large dans tous les secteurs. Les travailleurs·euses de l’édition, par exemple, ont récemment obtenu un accord de reconnaissance syndicale chez Verso Books, après près de deux ans de campagne, tandis que la vague de grèves sauvages qui a touché les entrepôts d’Amazon a également donné lieu à une campagne de reconnaissance syndicale – ce qui serait une première dans l’entreprise.
La bureaucratie et la base
La situation actuelle met également en évidence un défi beaucoup plus large auquel est confronté le mouvement, ainsi que les tâches des socialistes en son sein.
Alors qu’il n’y a absolument aucun doute que la vague de grèves actuelle est un développement très significatif, il est également vrai qu’elle reste fortement dépendante de la bureaucratie syndicale, avec très peu d’initiatives indépendantes provenant de la base. Il existe de petits groupes dans la plupart des syndicats qui mettent l’accent sur le renforcement de cette capacité, mais ils sont jusqu’à présent restés marginaux.
Les questions qui émergent dans ce contexte ont été les plus visibles autour de la question du nationalisme, instrumentalisé – avec succès – par la classe dirigeante britannique pour mettre au pas le mouvement ouvrier. Il est incroyable, par exemple, de constater que les syndicats – y compris le très militant RMT – ont annulé les actions de grève prévues, d’abord en signe de respect envers la Reine après son décès, puis pour éviter de faire grève le 11 novembre, alors que l’État britannique célèbre le souvenir de ses interventions impérialistes à travers le monde lors du Remembrance Day. Le Trade Union Congress – l’organisme qui rassemble les différents syndicats du pays – a même annulé sa conférence annuelle par respect pour la monarque défunte.
Il ne s’agit pas seulement d’une capitulation consternante du mouvement syndical face au nationalisme et au chauvinisme britanniques (le républicanisme est sûrement un principe de base de toute lutte pour un plus grand contrôle démocratique dans la société), mais cela illustre également la capacité des dirigeant·e·s syndicaux·ales à activer et désactiver l’action comme un robinet sans que la base ne réagisse.
En outre, cela soulève des questions inquiétantes quant à la volonté des dirigeant·e·s syndicaux·ales d’aller au-delà des questions économiques immédiates. Il est évident que l’hystérie de masse autour de la mort de la reine Elizabeth a été attisée par l’establishment britannique de toutes ses forces, dans une tentative désespérée de rétablir un certain niveau de consentement populaire à une époque de crise économique, politique et écologique. Le mouvement syndical devrait s’opposer à un tel assaut idéologique et mettre en évidence le lien entre la crise du coût de la vie et les millions gaspillés pour la monarchie, sans parler de l’héritage mondial d’impérialisme, d’esclavage et de racisme de la couronne. Ces questions sont bien sûr des aspects centraux de la crise et doivent être au centre de notre lutte contre celle-ci.
Le tournant syndicaliste de UNITE soulève des questions similaires. Le refus de Sharon Graham de se présenter à la direction du Parti travailliste est une victoire politique cruciale pour le mouvement ouvrier, mais il semble également avoir conduit à un rejet de toute campagne politique. Son refus de participer à l’initiative Enough is Enough, malgré la prépondérance d’autres dirigeants syndicaux dans ses rangs, est l’un de ces signes inquiétants.
Le moment actuel est un saut en avant énorme et extrêmement positif pour le mouvement syndical en Grande-Bretagne. Le défi pour les anticapitalistes est d’utiliser le militantisme actuel pour encourager le développement d’une organisation de la base qui puisse maintenir la mobilisation des travailleurs même lorsque la bureaucratie syndicale se retire. Simultanément, ce sont les anticapitalistes qui devront se battre pour faire des questions politiques – telles que l’antiracisme, l’anti-impérialisme et le rejet du nationalisme – un aspect clé de la lutte des classes dans les mois et les années à venir.