Le féminisme n’a pas besoin des TERFs

«Critique du genre». C’est comme cela que les dénommées TERFs préfèrent souvent se définir. Le mot TERF, popularisé en 2008 par la blogueuse Viv Smythe, signifie Trans-exclusionary radical feminist, soit «Féministe radicale excluant les personnes trans».

Une manifestante lors du cortège de la Journée des droits des femmes à Lausanne tient une pancarte "Pas de lutte sans nos adelphes queer"
8 mars 2022, Lausanne

Si le terme lui-même ne s’était pas imposé dans les vocabulaires avant cela, le phénomène qu’il désigne le précède de plusieurs décennies. Le mouvement TERF s’est développé conjointement au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Europe, tissant des liens plus ou moins affichés avec des mouvements conservateurs, opposés au travail du sexe, essentialistes et antisémites.

Les arguments TERF

Les TERFs considèrent qu’en appréhendant les personnes et la biologie via le prisme du genre construit socialement, neutre ou fluide, il devient alors impossible de parler de sexisme. Ces féministes martèlent qu’une femme, c’est une femme parce qu’elle est née avec un vagin, point. Les femmes trans sont au mieux des hommes trans-­féminins, au pire des hommes avec des goûts féminins. Les hommes trans sont eux considérés comme des victimes n’ayant pas trouvé d’autres issues à la misogynie que de devenir un homme (le genre de récit notamment promu par des organismes comme l’AMQG en Suisse, tout comme la mise en avant excessive des récits de détransition, qui restent pourtant très rares dans les parcours trans).

La misogynie, elles la reprochent d’ailleurs directement aux femmes trans, les accusant de réduire la féminité à des clichés nocifs en adoptant talons, maquillage et autres implants mammaires pour affirmer leur genre de manière ostensible — coup dur pour toutes les femmes cis qui elles-mêmes ont recours à ce type d’apprêts. Mais beaucoup de femmes trans se doivent d’afficher l’apparence la plus conforme possible aux standards féminins attendus par simple souci de sécurité, car les femmes trans sont particulièrement touchées par les agressions sexistes. 

À cela s’ajoutent les offensives TERFs qui les accusent d’être des sujets masculins dangereux, cherchant à infiltrer les espaces féminins, s’approprier le corps des femmes, voire les agresser. En fait, via leur discours biologisant discutables, ce que les TERFs affirment, c’est qu’on est ce qu’on est en fonction de notre naissance, et que cela est irrévocable. Ces militantes affichent une pensée blanche et bourgeoise, ayant tendance à concevoir La Femme de manière monolithique et essentialisée. Centrées sur leur vagin de naissance, les TERFs sont à vrai dire bien plus conservatrices que féministes. 

Féministes, non. De droite, oui.

Récemment il a fallu subir les apparitions répétées des TERFs françaises en roue libre Dora Moutot et Marguerite Stern, qui se sont vues offrir maintes tribunes dans des médias de droite. Toutes deux affirment leur volonté d’exclure les personnes trans de la loi interdisant les thérapies de conversion, et après que l’une des affiches du planning familial présentant un homme trans enceint ait été médiatisée, elles ont appelé à désubventionner cet organisme pourtant central dans l’accompagnement et le soutien des femme·x·s autour des questions de sexualité et de violences. On voit alors bien comment se définissent leurs priorités.

Ailleurs aussi différents groupes de droite ou d’extrême droite ont peu à peu commencé à relayer du contenu en provenance de TERFs, mettant souvent en avant le prétendu risque que présenterait l’idéologie transgenriste pour les femmes, les enfants, la famille.

On doit l’une des théories les plus inventives à Jennifer Bilek avec un complot de milliardaires juifs visant à utiliser le trans­genrisme pour asservir l’humanité via un projet technocapitaliste d’immortalité transhumaniste. Sa thèse a été savamment reprise par les néonazis.

A noter également la fondatrice de la Women’s Human Rights Campaign qui a qualifié les femmes trans de parasites et appelle ouvertement à une collaboration plus étroite entre les féministes et la droite. Sans surprise, le collectif Nemesis, présent également en Suisse, ouvertement islamophobe sous couvert de féminisme, se positionne en mépris des questions trans.

Une inclusion nécessaire

La lutte pour le droit des personnes trans, si elle n’est pas nouvelle et présente des figures fortes et importantes dans l’histoire des luttes, reste une des dernières à avoir obtenu des droits politiques et sociaux, et les zones de permissivité en matière de remises en question, critiques et débats des questions liées à la communauté LGBTQIA+ restent larges. Or les revendications queers doivent être défendues car, fondamentalement antipatriarcales, elles ancrent encore plus profondément les modes de pensées féministes et viennent bousculer par les marges, là où le féminisme s’est parfois institutionnalisé au point de baisser sa garde.

Ne pas inclure le droit des personnes trans dans les luttes féministes, c’est empêcher une approche entière et radicale du renversement du patriarcat, et c’est la porte ouverte à un retour en arrière sur des combats tels que le droit à l’interruption volontaire de grossesse, qui est déjà en danger. Les luttes trans embrassent la matérialité des corps et la façon dont ces corps sont produits, sexués, racisés, validés par la domination, obligés de résister dans les limites, créant des brèches pour modifier les conditions matério-corporelles du rapport de force. Il n’y a pas de féminisme sans les personnes trans.

Al S. Gutierrez