Arabie saoudite

Rapprochement entre dictateurs

À Pékin, le 10 mars, Téhéran et Riyad ont annoncé la reprise des relations diplomatiques, rompues en 2016. Que cache cette détente soudaine ?

Xi Jingping lors de son arrivée en Arabie saoudite en 2022
Le président chinois Xi Jinping avait fait le déplacement en Arabie saoudite en décembre 2022.

Ce « dégel » ne semble pas si inattendu, il est le résultat de cinq rounds de négociations organisés par l’Irak et Oman sur une période d’au moins deux ans. Pourtant le nouveau rôle de la Chine en tant que pacificateur en a surpris plus d’un.      

Diplomatie économique à la chinoise

Après la révolution du schiste des années 2010 aux États-Unis et leur réduction des importations d’hydrocarbures, l’usine mondiale chinoise a pris la place de principal importateur mondial d’énergie. Ainsi, malgré les sanctions étasuniennes, au début de l’année, la République islamique d’Iran a augmenté son approvisionnement de la Chine à près de 1,2 million de barils de pétrole brut par jour (selon Vox). Le royaume saoudien exportait quant à lui 1,7 million bpj. Le flux ininterrompu d’or noir est une condition du développement et de l’expansion économiques de la Chine, notamment par le biais de la stratégie des Nouvelles routes de la soie, qui implique des milliers de projets d’infrastructure et 8000 milliards de dollars d’investissements dans 150 pays.

Pour cela, la stabilité dans les pays fournisseurs d’hydrocarbures – l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Irak – et dans les détroits qui les entourent est essentielle. Environ 40 % des exportations d’hydrocarbures vers la Chine passent par le détroit d’Ormuz et 60 % du trafic de marchandises chinoises par celui de Bab el-Mandeb. L’importance de cette voie navigable pour Pékin est illustrée par le fait qu’en 2016 la Chine a construit une base militaire à Djibouti. À la mi-mars, la Chine, la Russie et l’Iran organisaient des exercices conjoints dans le golfe d’Oman.

Notons que la politique de sécurité énergétique de Xi Jinping implique la diversification des fournisseurs d’énergie, ce qui permet de répartir les importations à peu près également entre eux, de ne dépendre complètement d’aucun partenaire et de ne pas privilégier l’un par rapport à l’autre. Cela donne à Pékin une place exceptionnelle en tant que médiateur.

Téhéran au désespoir

En mars 2023, les prix des denrées alimentaires en République islamique ont augmenté de 70 % par rapport au même mois de l’année précédente. De plus, le mois dernier, les États-Unis ont imposé un nouveau train de sanctions visant à paralyser davantage les exportations énergétiques et militaires de Téhéran. 

Les sanctions punissent également ceux qui achètent des drones suicide (principalement la Russie) et des hydrocarbures (la Chine) à l’Iran. Les principaux problèmes restent l’isolement international, les sanctions et les protestations à l’intérieur du pays.

Dans ces conditions, le président Ebrahim Raïssi cherche à récupérer les capitaux des pays du Golfe. Le 15 mars, le ministre saoudien des Finances, Mohammed al-Jadaan, a déclaré que les investissements saoudiens pourraient suivre « très rapidement » l’accord. Cela soulève la question de savoir combien et dans quels secteurs le capital saoudien peut réellement investir, compte tenu des sanctions. Dans ce contexte, outre la production d’hydrocarbures, le chercheur Adam Hanieh note d’autres activités où les capitaux des pays du Conseil de coopération du Golfe s’accumulent activement : l’industrie, la production, le transport et la construction en font partie.

Saudi First : les ambitions du capital saoudien

En 2016, le Premier ministre saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) a dévoilé l’ambitieux plan « Vision 2030 » visant à faire du royaume un hub économique au Moyen-Orient, où la stratégie chinoise devrait jouer un rôle crucial. Le plan implique l’expansion du capital privé saoudien dans le pays et à l’étranger pour « prendre la place qui lui revient sur les marchés mondiaux ». Mais la condition la plus importante pour la mise en œuvre de l’ambitieux projet est l’établissement de la stabilité dans la région : la sortie de Riyad du bourbier yéménite, qui lui coûte des dizaines de millions de dollars par jour sans compter sa réputation, et la réduction des tensions avec Téhéran.

Le conflit au Yémen a été généré par des causes internes qui remontent des décennies en arrière et ne se terminera donc pas avec le retrait de MBS. En ce qui concerne la Syrie, nous assistons également aux efforts saoudiens pour légitimer Assad et le ramener dans la Ligue arabe. Le capital saoudien, qui a délibérément bombardé des infrastructures au Yémen et soutenu la contre-révolution en Syrie, cherche désormais à participer à la « reconstruction » d’après-guerre des deux pays.

Retrait étasunien ?

Il est important de comprendre que Pékin vise à développer sa marque de leader mondial et à étendre son influence économique au Moyen-Orient sans défier Washington. La préservation des relations antérieures avec les USA se voit sans ambiguïté dans l’accord du 14 mars pour l’achat de Boeings par le royaume pour 37 milliards de dollars. À cet égard, la citation d’un responsable saoudien anonyme par Reuters est révélatrice : « La reprise des relations diplomatiques [avec l’Iran] ne signifie pas que nous sommes des alliés ».

Nadia Badaoui