Ne pas perdre sa vie à la gagner

Alors que la Grève féministe, la Grève du climat et différents syndicats revendiquent la réduction du temps de travail à salaire égal, l’Union patronale suisse se prononce sans surprise en opposition à cette tendance. Faut-il s’en inquiéter ?

Une militante de solidaritéS Vaud tient une pancarte
L’un des slogans d’Ensemble à Gauche de la campagne pour les élections cantonales vaudoises 2022

La prise de position de l’Union patronale suisse (UPS) publiée début mai vient nous rappeler l’actualité de la loi de la valeur exprimée par Karl Marx. Pour expliquer le nouveau mode d’exploitation et d’accumulation, Marx observe que les capitalistes ont créé une nouvelle marchandise, la force de travail. En achetant celle-ci avec un salaire, ils possèdent ainsi tout ce que la force de travail produit. Avec ce mécanisme, l’accumulation du capital peut progresser très vite, jusqu’à atteindre des fortunes colossales. Ce n’est pas en « travaillant dur » que les patron·ne·s s’enrichissent, c’est en accaparant le travail de leurs salarié·e·s.

L’inquiétude de l’UPS contre la « pénurie de personnel qualifié » 

En conséquence, les solutions de l’UPS proposent de retourner à des horaires de travail plus longs et repousser l’âge de la retraite. Et comme le travail est un vrai plaisir sur cette planète, pourquoi s’en priver ? Surtout lorsque les patron·ne·s « donnent » du travail. Refuser un don ? Ainsi le processus d’accumulation du résultat de l’achat de la force de travail pourra se perpétuer, et les profits seront assurés.

Parmi les récriminations de l’UPS se trouvent aussi la dénonciation de « l’essor du temps partiel » et « l’introduction de nouvelles formes de vacances ». Pour le patronnat, la cote d’alerte est atteinte. D’après les estimations de l’UPS, depuis une dizaine d’années, le monde du travail exerce ses activités avec quatorze jours de moins par an. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), la semaine de travail est passée de 43,2 heures (en 1991) à 41,1 heures en 2019, soit deux heures de moins en 28 ans. Pour le patronat, c’est déjà trop.

Le travail, plaisir ou contrainte ?

La pénibilité au travail au sein du système capitaliste s’est transformée, mais elle n’a pas du tout disparu. La baisse du temps de travail est une revendication ancienne du mouvement ouvrier, qui a toujours été l’objet d’une confrontation très dure avec le monde patronal, totalement obnubilé par ses propres intérêts et toujours prêt à s’opposer à des réductions du temps de travail sous toutes ses formes (horaire journalier, jours de repos hebdomadaires, périodes de vacances, pauses au travail).

Le travail pénible, physiquement et/ou psychiquement, ennuyeux, répétitif, mal payé, exposé à des substances toxiques, loin du domicile, de nuit et/ou en équipe, dominical, est encore une réalité que subissent des centaines de milliers de personnes.

Cette pression touche aussi les jeunes en formation. Le passage du monde de l’école au monde du travail est très abrupt. Pour le monde étudiant, qui cumule de plus des activités rémunérées, souvent dans des conditions précaires, les conditions de formation se péjorent. En réduisant le système des bourses à des portions misérables, les milieux bourgeois ont marqué une double coche. 

Cela permet de disposer d’une main d’œuvre servile, obligée d’avoir un certain revenu pour des horaires spéciaux (soir, fin de semaine). Et cela permet aussi d’imposer des formes de précarité avant même d’avoir une formation achevée. Cette expérience permet de banaliser de mauvaises conditions de travail et de rémunération, et les présenter comme des conditions inévitables du cadre académique et professionnel actuel.

Le temps de travail n’est pas une question secondaire dans l’économie capitaliste. Les réactions de tous les patron·ne·s, grand·e·s ou petit·e·s, face aux initiatives passées pour réduire le temps de travail hebdomadaire ou augmenter les vacances ont été brutales. Selon elles·eux, cela annonçait rien de moins que la fin du monde – la fin de leur liberté à s’enrichir. Mais voilà, les capitalistes sont la classe dominante, et lorsqu’ils profèrent des menaces ou agitent des scénarios apocalyptiques, ils ont quelques avantages sur leurs opposants afin d’instaurer la peur et les doutes.

Comment réagir ?

La prise de position de l’UPS est claire, les patron·ne·s ne participeront pas volontairement à la réduction du temps de travail sous quelque forme que soit.

Une piste pour mobiliser et gagner des forces sociales suffisantes pourrait être de revendiquer la réduction des horaires des enseignes commerciales. Une autre piste pourrait être de réduire au maximum le travail de nuit et le travail de fin de semaine là où il n’est pas socialement utile. Aux arguments sociaux viendraient aussi s’ajouter des arguments féministes, écologiques et éthiques.

Il n’en reste pas moins que la revendication collective de « travailler moins » nécessitera une organisation et une volonté bien au-delà des slogans ronronnants du 1er Mai. La centralité de ce sujet provoquera une confrontation frontale de classe importante. Raison de plus pour s’organiser en vue de ce combat.

José Sanchez