Du 14 juin 1981 au 14 juin 2023, une histoire féministe
Les collectifs de la Grève féministe appellent à une nouvelle journée de grèves, de mobilisations et d’actions le 14 juin 2023. Nous descendrons à nouveau dans les rues pour protester contre les oppressions et les exploitations multiples qui continuent de peser sur les épaules des femmes, des personnes trans et non binaires en Suisse. Depuis 2019 et la déferlante violette, ce 14 juin occupe à nouveau une place centrale dans les discours sur les luttes féministes nationales. Il s’insère dans une histoire bien plus longue, trop souvent oubliée ou ignorée, qui a réuni au fil du temps des militantexs aux ancrages politiques divers.
Les luttes féministes ont traversé le 20e siècle avec de fortes connexions à l’international et des spécificités propres au contexte helvétique. Les femmes obtiennent le droit de vote au niveau fédéral en 1971 seulement, au moment où une nouvelle génération féministe, qui a vécu les années 1968 et s’organise notamment sous la bannière du Mouvement de libération des femmes (MLF), voit le jour. En plus du combat pour la dépénalisation de l’avortement, ces militantes vont s’engager, de manière plus ou moins critique, pour l’obtention d’une égalité constitutionnelle au niveau fédéral.
En parallèle, elles s’organisent en non-mixité dans des collectifs locaux et mènent des actions plus radicales, comme l’occupation d’un ancien café du quartier des Grottes à Genève en 1976.
Les revendications féministes font également leur entrée dans les syndicats avec la constitution des premières commissions femmes. Le 14 juin 1981, la Suisse adopte l’article constitutionnel en faveur de l’égalité. Une victoire en demi-teinte, puisque c’est le contre-projet du Conseil fédéral et non le texte initial, formulé par des associations féministes et féminines, qui est approuvé. La campagne pour le oui représente tout de même un important moment de convergence au sein de l’espace féministe.
Dix ans plus tard, face au refus des autorités fédérales de réaliser l’égalité dans les faits, la première grève des femmes du pays réunit des anciennes militantes du MLF, des femmes membres d’associations qui se sont engagées pour le droit de vote dès le tournant du 20e siècle et des femmes engagées dans les syndicats, d’où émerge l’idée de la grève. Le travail des femmes, invisibilisé, gratuit ou sous-rémunéré, est au centre des revendications.
Le 14 juin 1991 représente un pas important vers l’adoption de la loi sur l’égalité (LEg), qui adviendra en juillet 1996 et qui vise à ancrer dans les faits l’égalité supposément garantie depuis 1981, essentiellement dans le domaine professionnel. Trente ans plus tard, la LEg reste largement critiquée pour son inefficacité. Le mouvement féministe de son côté connait un nouveau souffle.
Les collectifs de la Grève féministe sont héritiers de ces luttes. La place importante accordée dans leurs revendications à la défense des conditions de vie matérielles des femmes, des personnes trans ou non binaires rappellent les préoccupations qui ont mené à la première grève de 1991 ; l’organisation en mixité choisie fait écho aux années du MLF. Ils sont aussi le lieu de formation d’une nouvelle génération féministe.
Les expériences accumulées ces quatre dernières années, la puissance collective éprouvée au fil des manifestations et la force des voix qui crieront une nouvelle fois « grève, grève, grève féministe » le 14 juin prochain indiquent qu’en Suisse aussi, la relève féministe est fière, vénère et pas prête de se taire.
Rosie Moser