Le sexisme et le pouvoir

Le 30 mai dernier, la majorité de droite du Grand Conseil quittait avec fracas la salle à la suite de la dénonciation de cas de harcèlements sexuels au sein du parlement vaudois par Elodie Lopez. Retour critique sur cette séquence politique avec Elodie Lopez et Joëlle Minacci, députées EàG – da

Une femme tient une pancarte #noustoutes brisons le silence et les violences
Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, Lausanne, 2018

Dans cette histoire du Grand Conseil, les femmes de droite ont fait solidarité immédiate avec leurs collègues masculins, minimisant la fréquence et l’impact du harcèlement sexuel dans les espaces de la politique institutionnelle suisse. On les a vu recourir à la rhétorique du vrai duel contre la victimisation. Comment analysez-vous cette réaction ? 

EL Pour les femmes de droite, les propos sexistes sont complétement intégrés. Elles abordent le harcèlement sexuel comme une problématique interpersonnelle et non structurelle. D’où les accusations de victimisation : selon elles, il vaut mieux les absorber et mettre son énergie ailleurs. On devrait toutes faire pareil, répondre et passer à autre chose. Elles ne comprennent pas qu’on dénonce les comportements sexistes pour pouvoir travailler correctement. 

À droite, il y a aussi la question de la forme : il ne faut pas déranger, faire du scandale. La forme neutraliserait l’entier du propos. Finalement, ce qu’ils veulent, c’est détenir le pouvoir sur comment la question du sexisme est traitée politiquement. Je me demande aussi si les femmes des partis bourgeois auraient la possibilité de pouvoir en parler au sein de leur parti si elles le souhaitaient. 

JM Des femmes de droite m’ont parlé informellement du sexisme au sein de leurs partis. C’est évident qu’il y a du sexisme dans tous les partis, mais qui se manifeste de manière différente. À droite, il y a un sexisme d’un autre temps, assumé, contrairement à la gauche où c’est plus insidieux. Même s’il existe une hétérogénéité de points de vue, les questions féministes ne font pas partie de la ligne politique dominante de partis de droite, qu’ils tiennent en opposition avec la nôtre sur de nombreux objets. 

Dénoncer le harcèlement revient à te mettre en conflit avec cette ligne. Donc soit tu l’ouvres et tu te fais minoriser ; soit tu rentres dans les schémas que les hommes attendent de toi, notamment en acceptant les codes de masculinité dans les espaces politiques, et tu peux t’intégrer dans l’appareil. 

Pour se faire entendre, il faut être capable d’instaurer un rapport de force à l’intérieur et à l’extérieur des institutions parlementaires. C’est ce que vous avez réussi à faire en réunissant les femmes de « la gauche » derrière ton intervention. Est-ce que cette stratégie de témoignages simultanés était concertée ?

EL Ça fait longtemps que la question était dans les tiroirs. Notre projet était de faire voter la motion qui allait donner la compétence au bureau de faire la directive pour lutter contre le sexisme et le harcèlement au Grand Conseil. On voulait élaborer des outils à l’interne sans faire de trop de vent, pour éviter de braquer tout le monde et de perdre les majorités. Quand la droite a quitté la salle, soit les témoignages sortaient maintenant, soit jamais. Le moment politique qui a suivi n’était pas concerté en amont. 

JM À EàG, du moment qu’on a acté qu’Elodie ne s’excuserait pas, on ne pouvait plus reculer, il fallait en faire quelque chose politiquement. Dès que le PS et Les Verts ont pu s’assurer de quoi on parlait exactement, que des exemples sont sortis, on a pu les pousser à se positionner. Le fait que d’ex-députées témoignent en premier a aidé à libérer la parole. 

EL Finalement, iels ne pouvaient pas se permettre politiquement de ne pas nous soutenir vu qu’iels prétendent porter les questions féministes dans les parlements. Quand on s’est mis autour de la table pour discuter et obtenir leur soutien, iels ont été forcé·e·s de prendre position, même si ça ne faisait pas l’unanimité au sein de leurs partis. 

Est-ce que vous vous êtes senties soutenues au sein d’EàG ? Pour vous, quelle est la fonction d’une coalition comme la nôtre dans ce genre de dossier ? 

JM Dans l’heure, on avait du soutien et des compétences pour savoir quoi communiquer, comment se positionner dans la presse. Une veille permanente s’est mise en place avec des personnes piliers disponibles pour relire les prises de parole ou les communiqués de presse. C’était essentiel de ne pas avoir à porter ça seules tout le long. 

EL Je pense que c’est ça qui fait la différence avec les autres partis : le propre de nos groupes, c’est cette dimension collective. On est dans une position d’élue où on prête son visage à la coalition, mais derrière il y a le collectif. L’organisation permet aussi de pouvoir faire émerger une analyse politique en temps réel. Et ça c’est le fruit d’un travail qui à été muri au sein de nos organisations : celui de faire du sexisme et du harcèlement un sujet politique. L’enjeu maintenant c’est que cette expérience puisse nous servir pour la suite de nos interventions politiques et de maintenir cette dynamique en dehors de cette période de crise. 

Propos recueillis par Gaara