L’implacable loyauté de Louise Michel incarnée au théâtre

Voir cette pièce, c’est prendre une bouffée d’oxygène révolutionnaire, c’est désacraliser Louise Michel afin de mieux apprécier Louise, titre du spectacle mise en scène par Charlotte Filou. 

Charlotte Filou joue Louise Michel
Charlotte Filou joue Louise Michel dans son spectacle

Ce n’était pas une sainte, elle était enflammée par la vie, comme tant d’autres. Écouter Louise, c’est arrêter de l’idéaliser. « Je veux parler une fois pour toutes, du courage dans les prisons, et en finir avec l’héroïsme ! Il n’y a pas d’héroïsme, il n’y a que le devoir et la passion révolutionnaire dont il ne faut pas plus faire une vertu qu’on n’en ferait une de l’amour ou du fanatisme. » Idéaliser, c’est l’éloigner de soi. La pièce invite au contraire à s’emparer des sentiments qui habitent Louise Michel, à s’imprégner de sa détermination.

Le décor est sobre : des tabourets, un grand drap qui les recouvre. Charlotte Filou, qui incarne Louise, est face au public, elle nous narre la vie qui l’anime. Le texte est tiré des Mémoires de Louise Michel. Très critique dès son jeune âge, elle a l’insolence de remettre tout en question, notamment les discriminations sexistes : « On nous [aux femmes] débite un tas de niaiseries, (…) tandis qu’on essaye d’ingurgiter à nos seigneurs et maîtres des boulettes de sciences à leur crever le jabot. »

Elle tisse des liens entre les oppressions : si les prolétaires se tuent à la tâche pour les bourgeois, les hommes y compris prolétaires profitent des femmes, dont Louise Michel dénonce par exemple les « unions sans amour » qui leur sont souvent imposées et le statut de quasi-esclavage qui leur est conféré. Elle s’indigne du sort réservé au bétail et dit avoir eu de la peine à manger de la viande pendant de nombreuses années. Son travail d’institutrice lui permet de faire parler sa créativité : elle va explorer la nature avec ses élèves ou transforme sa classe en laboratoire.

Louise Michel mène sa vie pour la « révolution sociale », dès les soulèvements contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, puis surtout pendant la Commune de Paris, en 1871. La lutte ayant plus d’importance à ses yeux que sa vie, elle combat en première ligne, l’épisode révolutionnaire durant. Celui-ci  a vu pour la première fois l’élection de délégués ouvriers. C’est 72 jours pendant lesquels elle « ne s’est presque jamais couchée ».

Le procès de la Commune

Un homme se lève du public, il mène l’accusation contre elle : c’est le procès qu’elle a enduré après la Commune. Elle est interrogée notamment sur la scène qui se déroule le 18 mars, jour qui inaugure la révolution : alors que l’armée française vient saisir les armes de la population parisienne, cette dernière l’en empêche et les généraux ordonnent de tirer sur la foule. Les soldats n’obtempèrent pas. 

Louise Michel explique ne pas avoir participé à l’assassinat des généraux, mais admet avoir voulu assassiner le président Thiers replié à Versailles. Face à la revanche du pouvoir réactionnaire, elle implore presque les jurés de la condamner à mort, comme les 15 000 communard·e·s qui ont perdu la vie lors de la « semaine sanglante », puis les 30 000 fusillé·e·s : « Aujourd’hui, qu’importe, prisons, mensonges et tout le reste ? Que ferait la mort ? Ne suis-je pas déjà morte ? » Verdict :elle sera déportée au bagne, en Nouvelle-Calédonie.

Mais la lutte ainsi que l’envie d’apprendre et d’explorer ne la quittent pas. Elle fait des observations sur l’île, expérimente la vaccination sur des plantes, tisse des liens avec le peuple kanak, lutte avec ses codéporté·e·s pour l’amélioration de leurs conditions de détention. Elle y reste plusieurs années avant de retourner en France à la suite de l’amnistie des communard·e·s en 1880. De retour, très célèbre, elle poursuit ses activités, multiplie les conférences, tout comme les procès et les séjours en prison.

« Tous ou rien ! »

Louise Michel est loyale. Sa loyauté inébranlable va à la révolution sociale, et donc à ses camarades de luttes. Ainsi, elle refuse ses libérations de prison tant que ses camarades codétenu·e·s ne sortent pas aussi, qui sonnent pour elle comme des séparations : « je ne pouvais, sans infamie, accepter une grâce à laquelle je n’ai pas plus droit que les autres ». Sa loyauté pour son combat anticarcéral se manifeste même ainsi envers l’homme qui tentera de l’assassiner lors d’une conférence en 1888. Elle s’engagera avec ferveur pour l’acquittement de ce dernier.

La pièce s’arrête aussi sur les débats politiques, d’alors comme d’aujourd’hui. Anarchiste, proche du Blanquisme mais pas doctrinaire, Louise Michel n’attache que peu d’importance aux querelles théoriques mais s’oppose très fortement à toute action politique institutionnelle, qu’elle estime corrompre forcément les révolutionnaires : « Que le parti révolutionnaire s’organise solidement, sur son propre terrain, avec ses propres armes. » Et «lorsque les ‹temps héroïques› seront revenus, qu’il s’apprête à faire le siège de l’État ! »

Teo Frei

Louise, d’après les Mémoires de Louise Michel
Mise en scène et jeu Charlotte Filou, avec aussi José Lillo
Jusqu’au 25 juin au Théâtre des Amis (Carouge)↗︎