Travailler moins pour produire plus ?

La réduction du temps de travail est souvent assimilée à la semaine de quatre jours. Est-ce un bon point de départ sur le chemin d’une réduction plus massive ? 

Une manifestante tient une pancarte avec un dessin qui illustre les problèmes du système de santé privé
La semaine de quatre jours n’est pas envisagée pour les secteurs à faible productivité, comme ceux du soin. Manifestation du personnel de santé pour demander une mise en œuvre plus rapide de l’initiative sur les soins infirmiers, Berne, 26 novembre 2022.

Ce qu’on appelle communément la semaine de quatre jours regroupe un ensemble de propositions visant à concentrer l’ensemble des heures de travail réalisées par semaine sur quatre jours de travail effectifs. Une telle organisation du travail présente pour beaucoup de salarié·e·s des avantages certains: réduction du temps et des frais de transport, journée supplémentaire disponible pour d’autres activités difficiles à réaliser dans une semaine de cinq jours. La mesure permet  également de répartir plus équitablement certaines tâches familiales au sein des couples. Enfin, on a observé dans quelques cas une réduction du stress professionnel.

Convaincre les patron·ne·s ?

Néanmoins, dans beaucoup de cas, ce sont les avantages du point de vue patronal qui sont mis en avant par des analystes, des politiques  voire des syndicalistes. La semaine raccourcie est évoquée pour garder ou recruter du personnel qualifié, pour réduire la facture énergétique, l’absentéisme et les démissions. Sans oublier LE grand argument, qui devrait convaincre les capitalistes de tenter l’expérience: les gains de productivité.

Ainsi, la modification de l’organisation du travail découlant d’une semaine plus courte, certain·ne·s patron·ne·s n’ont pas constaté de perte de productivité, leur crainte principale. Celle-ci s’est soit maintenue, soit elle s’est même améliorée.

Cependant, dans certains services, comme les soins aux personnes, ces gains de productivité sont impossibles à réaliser. Il est alors nécessaire de réduire les « temps morts », comme les moments d’accompagnement avant et après les soins. Mais aussi, il est indispensable d’engager du personnel supplémentaire afin de maintenir un niveau de prestations équivalent. Ces nouvelles embauches impliquenrt ainsi des budgets supplémentaires qu’il faut pouvoir libérer.

Dans d’autres secteurs, notamment industriels ou high-tech, l’engagement de main-d’œuvre supplémentaire est peu évoqué. Preuve il en est, de l’augmentation de la productivité.

D’autres aspects de l’aménagement du temps de travail sur quatre jours sont aussi critiquables, comme la réduction du temps de pause et du temps de repas. Même si elle semble acceptable dans un premier temps, cette compression sera à moyen terme préjudiciable à la santé mentale et physique des salarié·e·s. 

RTT pour toutes et tous

La réduction du temps de travail ne doit pas rester une niche pour des employé·e·s très qualifié·e·s, cohabitant avec des secteurs où cette durée reste beaucoup plus longue. La réduction du temps de travail doit impérativement permettre d’intégrer socialement les personnes exclu·e·s parce que trop vieux et vieilles, pas assez qualifié·e·s, pas assez flexibles – selon les critères des employeurs·euses. Dans ce sens, laisser ce sujet à des initiatives éparses ou sectorielles constitue une faiblesse qui renforce la division du travail, la concurrence entre métiers et ne permet pas de dessiner un horizon commun pour le monde du travail.

La RTT doit s’appliquer en premier lieu pour réduire les formes les plus nocives et pénibles, notamment restreindre à ce qui est socialement nécessaire le travail de nuit, le travail continu et du week-end. Aujourd’hui la tendance productiviste et consumériste, largement conditionnée par une publicité omniprésente, incite à utiliser au maximum les machines et à accroître les horaires de production et d’ouverture des commerces. Les gares et les aéroports sont transformés en centres commerciaux, ouverts sept jours sur sept. 

Ce n’est pas la tendance à suivre pour réduire la consommation énergétique et des matériaux, et combattre les racines du réchauffement climatique. La production de biens nécessaires aux besoins de la société est aujourd’hui largement déterminée par les capitalistes, pour satisfaire leur soif de profits. La valeur d’usage passe après celle d’échange. La finalité de cette surabondance de biens n’est pas remise en cause.

La réduction du temps de travail doit être envisagée dans une perspective plus fondamentale. Quel est le temps de travail socialement nécessaire dans une société pour répondre aux besoins de base historiquement déterminés des populations ? Comment exprimer et définir cette quantité de travail, sur quels indicateurs ? La satisfaction des besoins devra répondre à de multiples critères sociaux, dans une société ni uniforme ni homogène. Les besoins seraient ainsi déterminés en relation à des situations concrètes, en dehors d’une logique marchande. Il en serait de même pour la durée, qui devrait tendre à davantage de temps libre, individuel et social. Karl Marx avait résumé cet objectif dans une belle formule : «De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins.»

José Sanchez