Fin du Haut-Karabakh. Et après?

Comme résultat de l’opération militaire menée par Bakou, à partir de janvier 2024, le Haut-Karabakh se dissoudra. L’appartenance de cette région à l’Azerbaïdjan entre en contradiction avec le principe de l’autodétermination. 

Ilham Aliev accueille le président turc Recep Erdogan dans l'enclave du Nakhitcheva en Azerbaidjan
L’autocrate Aliev accueille le président turc Erdogan dans l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan (située entre la Turquie et l’Arménie), 24 septembre 2023

L’Azerbaïdjan est une république avec un régime auto­cratique répressif dans laquelle, après l’effondrement de l’URSS, la nomenklatura, l’élite du parti communiste, sous la forme de la dynastie Aliev est revenue presque immédiatement au pouvoir. 

L’Arménie, qui contrôlait jusqu’à récemment le Haut-Karabakh, est un régime doté d’une démocratie représentative libérale et d’un historique de mobilisation populaire, où, après 1991, une intelligentsia nationaliste anticommuniste démocratique est arrivée au pouvoir. En 2018, à la suite du soulèvement qui a renversé les élites corrompues, le journaliste Nikol Pachinian est a été élu premier ministre.

L’Azerbaïdjan compte plus de trois fois la population de l’Arménie (10 millions contre 2,8). Sur le plan économique, Bakou était déjà un centre mondial de l’industrie pétrolière à la fin du 19e siècle. Aujourd’hui, son PIB s’élève à 70 milliards de dollars. Les revenus provenant de l’exportation de pétrole et de gaz naturel fournissent plus de 90 % des recettes budgétaires, et Bakou assure 40 % des réserves pétrolières d’Israël. 

L’industrie pétrolière, à travers la compagnie SOCAR, finance personnellement le clan des Aliev-Pashayev. En Suisse, sa filiale SOCAR Energy Switzerland exploite 170 stations-service. Le budget militaire de Bakou est en croissance et s’élève à 3 milliards de dollars, soit 5 % du PIB. Bakou possède des drones turcs Bayraktar et des armes israéliennes modernes.

L’économie arménienne est beaucoup plus faible et dépendante de l’aide étrangère et de la diaspora, avec un PIB de seulement 20 milliards de dollars. 35 % de ses exportations concernent le minerai de cuivre. Le budget militaire d’Erevan s’est élevé à 800 millions de dollars et représente également 5 % du PIB.

Pourquoi personne ne s’oppose?

En juillet 2022, Bakou a conclu un accord avec l’UE ce qui a augmenté ses livraisons de gaz à l’UE de 39%. 

En voyant ses alliés – Turquie, Israël, Russie – bombarder en toute impunité des civils dans des territoires voisins, Bakou a décidé de reprendre par la force ce qui lui est dû en vertu du droit international, sachant qu’il n’y aurait aucune réaction internationale.

L’Azerbaïdjan a l’un des régimes les plus autoritaires de la région, et se classe parmi les plus bas au monde en termes de liberté de la presse ; manifester serait donc un suicide. Ainsi, l’historien Arif Yunus, opposé à la propagande anti-­arménienne dans le système éducatif, a été accusé d’espionnage au profit de l’Arménie et emprisonné. 

Après des décennies de propagande raciste et revancharde, la population soutient la rhétorique hypermilitariste. Pendant la guerre de 2020, plusieurs militant·e·s antirégime ont été emprisonné·e·s, comme l’anarchiste Ghiyas Ibrahimov. Il n’existe pas d’opposition de gauche organisée à part de petits groupes comme Feminist Peace Collective.

Aliev va-t-il protéger les minorités ethniques ?

Aujourd’hui, on ne peut pas entrer en Azerbaïdjan avec un nom de famille à consonnance arménienne. L’idéologie officielle schizophrénique stipule que les Arménien·nes n’ont jamais vécu sur cette terre, que leur État a été créé artificiellement par les Russes et qu’ils auraient inventé le génocide de 1915, alors que les ancêtres des Azerbaidjanais·es y vivaient il y a des centaines de milliers d’années. En décembre dernier, Aliev a même qualifié l’Arménie d’«Azerbaïdjan occidental». Pour effacer toute histoire arménienne dans l’enclave azerbaïdjanaise de Nakhitchevan, Bakou a détruit 98% des cimetières et églises des premiers siècles de l’ère chrétienne.

Pour démontrer l’extrême cruauté du régime Aliev et son nationalisme agressif, on peut citer quelques exemples. Lors de l’escalade d’il y a un an, l’armée azerbaïdjanaise a tué quelques prisonniers·ères de guerre arménien·nes, dont des femmes, leur coupant les membres, leur arrachant les yeux, leur gravant des croix sur les corps. En 2004 en Hongrie, un Azerbaïdjanais a décapité un Arménien endormi et, à son retour dans son pays natal, il a été accueilli comme un héros et reçu un appartement du président Aliev. Il est peu probable que les Arménien·nes restent au Karabakh, mais il est facile d’imaginer ce qui attendra celles et ceux qui décideront tout de même de rester. Aliev persécute les militant·es des droits des minorités ethniques, ainsi que les activistes religieux. Ainsi, l’activiste ethnique du peuple talysh, Fakhraddin Aboszoda, a été condamné à 16 ans de prison pour trahison et y est mort en 2020.

«Une nation, deux États»

Cinq jours après l’opération militaire du 19 septembre, Erdogan est venu rendre visite à Aliev au Nakhitchevan, une enclave azerbaïdjanaise en Arménie à la frontière avec la Turquie. Erdogan a félicité son homologue pour la victoire et a évoqué un potentiel couloir traversant l’Arménie qui relierait leurs deux pays, l’un des objectifs d’Aliev. L’ouverture de ce couloir est également soutenue par Israël, car elle lui permettrait de surveiller les positions iraniennes à seulement 7 km de la frontière. Il serait trop optimiste de penser que la paix viendra dans la région, du moins tant que les ultranationalistes seront au pouvoir à Bakou.

Que faire?

L’arrivée de 120 000 réfugié·e·s en Arménie va accroître les tensions dans un pays confronté à une crise du logement. Pour les socialistes, s’opposer à l’impérialisme signifie se tenir aux côtés des opprimé·e·s et des réfugié·e·s, mais aussi soutenir le droit à l’autodétermination et lutter contre la xénophobie. 

Puisque les Arménien·nes et les Azerbaïdjanais·es ordinaires n’ont pas eu de contact les un·e·s avec les autres au cours des trente dernières années, il est nécessaire d’établir un dialogue au niveau des sociétés et des communautés, et non au niveau des autorités. 

Laissons la parole à la jeunesse azerbaïdjanaise antiguerre qui disait déjà en 2020: «Nous devons nous débarrasser de ce vilain manteau d’État-nation, qui appartient aux poubelles de l’histoire, et imaginer et créer de nouvelles façons de coexistence commune et pacifique. Il est très important de relancer les initiatives politiques de base, composées de citoyen·nes locaux·ales ordinaires, qui rétabliront les pourparlers de paix et la coopération.» 

Dans les pays importateurs des hydrocarbures azerbaidjanaises, il est nécessaire de promouvoir la sortie complète du pétrole, ce qui réduira les revenus d’Aliev et affaiblira son régime dictatorial. Et les nombreux autres qui tirent leur pouvoir de cette ressource.

Nadia Badaoui