Pour un football syndicaliste et populaire
Baisers forcés, licenciements, grèves et dénonciations. La scène du football féminin espagnol est témoin d’une vague de contestations et de dénonciations au sujet du caractère structurel de ses violences et discriminations. Entretien avec Julia Cámara, militante de Anticapitalistas.
Quatre mois après la finale de la Coupe du monde de football féminin et un mois après le départ de Luis Rubiales, l’ancien président de la fédération espagnole de football, quel est le panorama?
À vrai dire je ne suis pas vraiment le football, mais ce qui est intéressant dans cette situation, ce n’est pas le football.
Il est évident qu’il y a un contexte d’inégalités structurelles dans le sport qui est particulièrement fort dans le football, parce que c’est un espace ultramasculinisé, avec des dirigeants et des hiérarchies très agressives et violentes. Les joueuses de l’équipe nationale sont en train de donner une leçon très puissante de syndicalisme, en dénonçant publiquement ce qui se passe sur leur lieu de travail. La question aujourd’hui est de s’attaquer aux problèmes de fond soulignés par les joueuses.
La question va au-delà du machisme; Rubiales ce n’est qu’un symptôme superficiel et son départ ne résout pas le problème structurel. Il s’agirait bien davantage de remettre en question les racines d’un système sur lequel la société dans son ensemble est basée.
Dans ce contexte de dénonciations et protestations, quelle est la force de la grève des joueuses?
La question de la grève est cruciale et pour moi la plus importante. Tout d’abord, parce qu’elle met en lumière le fait que les sportifs·ives de haut niveau sont des travailleurs·euses. Et c’est quelque chose qui, dans le football masculin comme dans d’autres sports (tels que le basketball aux États-Unis), est rendu invisible parce que les joueurs·euses sont payé·e·s des millions et sont parmi les personnes les plus riches du monde.
Le fait qu’ils·elles soient des employé·e·s, des salarié·e·s et des travailleurs·euses est déformé. Dans le football féminin dans l’État espagnol, ces dernières années, les femmes ne gagnaient pas un salaire qui leur permettait de vivre. La plupart d’entre elles devaient avoir un autre emploi en parallèle. Dans le sport féminin, la professionnalisation est récente.
La grève des joueuses dans un domaine aussi médiatisé que le football permet de mettre en lumière leur réalité professionnelle. Et je pense qu’elle permet de remettre un peu en question l’industrie moderne du sport d’élite. Par ailleurs, il faut souligner l’exercice absolument admirable et impressionnant de solidarité collective de ces femmes. Nous, c’est-à-dire toutes les personnes qui avons déjà dénoncé des problèmes concernant nos droits au travail, savons la violence subie lorsque nous essayons de réagir, mais le fait qu’elles persistent est impressionnant.
Dans un entretien, Alexia Putellas explique qu’elles vont de l’avant parce qu’elles comprennent qu’elles ont la responsabilité de le faire et parce qu’elles ont la possibilité de forcer là où d’autres femmes n’en ont pas la possibilité. Il me semble qu’elles donnent une leçon de syndicalisme vraiment admirable, surtout les joueuses du club de football de Barcelone.
Comment promouvoir et défendre un football féministe aujourd’hui, au vu des limites qui existent au sein du football «féminin»?
La clé se trouve dans le sport et dans ses bases. Le sport lui-même a des valeurs très positives, le travail d’équipe, l’amitié, la camaraderie, etc. Le travail politique de promouvoir le sport, les équipes d’enfants et le football non compétitif est fondamental. Il faut aussi travailler sur la diversification du sport car aujourd’hui il y a une centralisation symbolique et économique dans le football. En réalité, il y a une large panoplie très diverse de sports, chacunex trouve celui qui lui convient le mieux et qui le motive le plus. Et cette diversification est très importante pour intégrer de nombreuses personnes dans la pratique du sport.
En tant qu’activistes féministes et anticapitalistes, comment pouvons-nous militer dans ces espaces?
Il s’agit d’un débat important. Aujourd’hui dans le football c’est une réalité: les équipes de football réunissent beaucoup de gens, ce sont des vecteurs d’identité et des groupements importants. Plusieurs de nos camarades jouent dans des équipes de football populaires. Il existe toute une série de ligues et d’équipes qui échappent aux logiques de marché et qui incarnent la sortie du football-business.
Je pense que ce que nous devons faire, c’est promouvoir ces modèles alternatifs d’organisation des équipes, de la masse salariale, du personnel, etc. En tant que militantexs féministes anticapitalistes, nous devons travailler avec la réalité, ce qui existe. Je pense donc que ce n’est pas tant un travail au cœur du monstre qu’il faut faire, mais plutôt une promotion d’espaces diversifiés dans ces types de sphères sociales. Créons des clubs, des espaces populaires et culturels où il y a de l’intérêt sportif et de la diversité.
Propos recueillis par CAL