Rompre avec les logiques qui produisent l’antisémitisme

Depuis le 7 octobre, on observe une recrudescence inquiétante d’actes antisémites. La lutte contre l’antisémitisme passe par le refus de son instrumentalisation par les acteurs politiques et ne peut être menée en s’opposant à la solidarité avec le peuple palestinien et à la mobilisation pour un cessez-le-feu à Gaza. Communiqué du Collectif juif décolonial Tsedek !

Pancarte non au racisme, non au colonialisme, non à l'antisémitisme, non à l'slamophobie
Manifestation contre les bombardements sur Gaza, Paris, 4 novembre 2023

Les agressions physiques ou verbales et les graffitis à caractères antisémites se sont multipliés. Des synagogues ont été incendiées, celle de Kahal Adass Jisroel à Berlin et celle de El Hamma près de Gabès en Tunisie. Au Daghestan, l’aéroport de Makhatchkala a été le théâtre d’une émeute antiuive suite à l’annonce de l’atterrissage d’un avion en provenance d’Israël. Un climat qui plonge légitimement les Juifs et Juives de France dans l’angoisse et la colère.

En France, ces actes témoignent de la persistance et de la circulation des idées antisémites dans la société. Leur recrudescence doit être comprise dans un contexte de très forte polarisation politique et d’embrasement en Israël-Palestine. La réception de ces événements par le gouvernement français et son traitement médiatique est, de ce point de vue, catastrophique et irresponsable. 

Le gouvernement a interdit et criminalisé les expressions de solidarité et de compassion avec le peuple palestinien au nom de la lutte contre l’antisémitisme, tout en affichant un soutien inconditionnel aux opérations de l’armée israélienne et à son gouvernement fasciste. Une politique d’autant plus dangereuse que les relations entre les populations juives et arabo-­musulmanes, si souvent instrumentalisées, sont déjà très dégradées. Les Juif·ve·s sont ainsi collectivement et publiquement associé·e·s par les pouvoirs publics à l’État israélien qui mène une politique criminelle à Gaza et en Cisjordanie. 

Les Arabes et les Musulman·ne·s sont plus que jamais dépeint·e·s en classe dangereuse, ennemie de l’intérieur, gagnée au terrorisme et à l’antisémitisme. Ni les Juif·ve·s, ni les Arabes et les Musulman·n·es ne peuvent sortir gagnant·e·s d’une équation qui nourrit et l’antisémitisme, et l’islamophobie.

Contre la «guerre de la vengeance»

La lutte contre l’antisémitisme ne peut être menée en s’opposant à la solidarité avec le peuple palestinien et à la mobilisation pour un cessez-le-feu à Gaza. Elle ne doit pas, non plus, s’inscrire dans l’action d’un gouvernement engagé dans le tournant autoritaire et islamophobe. Le gouvernement devrait mettre tout son poids pour que la «guerre de vengeance», comme elle est nommée en Israël, s’arrête. Les crimes de guerre répétés d’un État se revendiquant être celui de tous les Juif·ve·s ne sont pas sans effets sur la perception de ces dernier·ère·s dans le monde. Sans être l’unique facteur d’antisémitisme, la politique israélienne de colonisation et d’occupation nourrit un ressentiment antijuif. 

Si l’idéologie du Hamas est bien pétrie d’éléments antijuifs et de représentations antisémites, l’idée qu’ils seraient les «nouveaux nazis» (Benyamin Netanyahou, 17 octobre 2023) et que les massacres du 7 octobre seraient comparables à la Shoah (Joe Biden, 18 octobre 2023) doit être combattue. Ce narratif qui vise surtout à diaboliser les Palestinien·ne·s, n’offre aucune clé de compréhension des violences terribles qui ont visé les civiles israélien·ne·s. En contexte palestinien, les catégories Juif et Arabe renvoient d’abord à des rapports de pouvoir et de domination.

Pour une émancipation collective

En France comme en Israël, la lutte contre l’antisémitisme est détournée par les pouvoirs publics et utilisée comme un outil de légitimation de politiques autoritaires et racistes. L’antisémitisme apparaît comme un mal anhistorique et l’antisionisme comme sa forme réactualisée. Des postulats, fort contestables, qui permettent de fondre la gauche, Hitler et les Palestinien·ne·s dans un ennemi commun. Dans ce cadre, cette « lutte contre l’antisémitisme » facilite la montée des extrêmes-droites, le renforcement de l’islamophobie et le recul des libertés politiques. Ce détournement coupe les Juif·ve·s des autres minorités nationales et des forces politiques de gauche. Pourtant, comme les autres, ils et elles paient cher le prix des politiques racistes et antisociales.

La captation de la mémoire de la Shoah et des termes associés à l’histoire juive européenne est une constante dans la propagande de guerre israélienne. Elle n’est pas sans effets délétères sur la lutte contre l’antisémitisme si nécessaire aujourd’hui. Dans le contexte actuel, les juif·ve·s sont d’autant plus vulnérables qu’ils et elles sont de plus en plus isolé·e·s. Il est difficile d’imaginer une situation plus confuse que celle qui s’est aujourd’hui imposée, dans laquelle la lutte contre l’antisémitisme est détournée par des acteurs politiques, qui facilitent en retour la circulation de l’antisémitisme. Si la lutte contre l’antisémitisme doit être, comme le mal qu’elle combat, multiforme, sa dimension politique est centrale. Sa boussole ne peut être que celle de la justice, de l’émancipation collective et des débouchés politiques en rupture avec les structures qui produisent l’antisémitisme. Sans cela, elle est désarmée.

Tsedek !, 3 novembre 2023
Coupes et adaptation de la rédaction