Israël

Pourquoi le pinkwashing d’Israël fonctionne-t-il autant ?

Depuis des années, les militantexs LGBTQIA+ critiquent le discours d’Israël sur les questions d’orientation sexuelle et de genre. Alors qu’il semblait y avoir une victoire – toute maigre – sur ce front, le regain des discours de soutien aux forces de « défense » israéliennes (IDF) face à une Palestine présumée homophobe est inquiétant et demande analyse.

Pancarte Queers for a free Palestine contre le Pinkwashing d'Israël
À rebours du discours de l’État d’Israël, plusieurs collectifs « Queer pour la Palestine » existent dans les grandes villes occidentales. Manifestation en solidarité avec les Palestiniennexs, Londres, 29 octobre 2023

En 1993, la plupart des lois d’héritage britannique criminalisant l’homosexualité dans l’armée israélienne ont été révoquées, ce qui a laissé les personnes ouvertement gays et lesbiennes servir dans l’armée. Néanmoins, une division géographique au sein de l’État colonial se fait sentir, entre Tel-Aviv, bastion libéral, et le reste des zones occupées beaucoup plus religieuses et conservatrices, notamment Jérusalem. 

Dès la fin des années 90, la Pride de Tel-Aviv est ainsi déjà un grand événement, largement dépolitisé comme dans une partie du monde occidental, avec un accent mis sur la fête plutôt que sur des dimensions révolutionnaires. Pour autant, des groupes tels que Black Laundry (en hébreu Kvisa Shchora) utilisent cet espace au début du 21e siècle pour visibiliser des thématiques queer et l’occupation des terres palestiniennes, en réponse à la deuxième intifada commencée en 2000. 

Colonialisme aux couleurs arc-en-ciel

Ces groupes ont malheureusement peu d’échos face à la stratégie du gouvernement israélien adoptée les mêmes années. Dénommée Brand Israël en 2005, la campagne propagandiste au cœur de cette stratégie vise à redorer l’image de marque d’Israël auprès de l’Occident comme un pays moderne, cosmopolite et progressiste. 

Principalement, l’idée est d’évacuer l’occupation de la Palestine le plus possible des communications internationales au profit d’aspects culturels, touristiques et festifs. Que ce soit au travers de campagnes montrant des femmes de l’IDF dans des magazines érotiques, des avancées technologiques des industries ou des spécialités culinaires.

C’est dans ce contexte que les notions identitaires sont mobilisées. Une des opérations les plus agressives de Brand Israël est de faire miroiter l’État, ici surtout Tel-Aviv, comme une des destinations les plus gay-friendly du monde. C’est un succès à une période de plus grande acceptation des identités homosexuelles (principalement masculines) dans les sociétés capitalistes, qui voient désormais les hommes gays comme un marché juteux disposant d’un certain pouvoir d’achat. 

Au travers d’images aspirationnelles, Israël se crée l’image d’un pays avec de magnifiques plages pleines d’hommes musclés qu’il ne faudrait pas trop tarder d’aller rencontrer, peu importe le sort des Palestinniennxes qui de toute façon seraient homophobes et dangereuxses.

Fragmentation et opposition

Comme l’explique le théoricien marxiste Peter Drucker, les communautés LGBTQIA+ se retrouvent dans un processus de fragmentation dès les années 90. Si l’augmentation de la tolérance dans une partie du monde laisse découvrir à une partie des lesbiennes et des gays les joies du capitalisme, une autre partie – notamment les personnes trans, précaires et/ou racisées – se retrouve laissée sur le carreau face à un processus d’homonormalisation. Il ne s’agit plus dès lors de demander libération mais acceptation. Il devient possible de réclamer une partie du gâteau de l’exploitation capitaliste. Cela implique un glissement de la compréhension des activismes LGBTQIA+ et de leur champ d’action. 

En effet, comme le dit lae chercheureuse El Chenier, ce glissement s’opère sur la notion d’identité. Un activisme basé sur la notion de libération révolutionnaire aura tendance à s’identifier avec, c’est-à-dire qu’il porte en lui une solidarité inhérente qui permet d’imaginer un changement sociétal. En revanche, lorsque l’activisme représente la protection des intérêts d’un groupe dans l’espace capitaliste, cet activisme permet au sujet d’uniquement s’identifier comme, c’est-à-dire aux autres personnes LGBTQIA+ sans réussir à étendre sa pensée sur les autres oppriméexs.

Cette fragmentation (qui n’est bien sûr pas si claire) entre un espace homonormatif et un espace révolutionnaire dans les communautés LGBTQIA+ donne ainsi lieu à des discours distincts et une incompréhension constante d’une partie du public qui a intégré un discours normatif. 

Pour une grande partie des gens, si le sujet discuté par des personnes queer ne touche pas directement aux thématiques LGBTQIA+, il parait hors-sujet vu l’impossibilité de s’identifier avec mais seulement comme. Ainsi, beaucoup peuvent s’identifier aux gays en Israël, mais pas avec les Palestiniennxes sous les bombes. 

Les activistes queers ont pourtant été nombreuxses à critiquer l’État d’Israël et ses campagnes de pinkwashing. Mais peut-être n’est-il pas tant surprenant que leur écho ait été au final plus limité que ce que l’on pensait. 

Seb Zürcher