Argentine

L’extrême droite capitalise sur la crise économique et sociale

Le 19 novembre dernier, Javier Milei a remporté le second tour de l’élection présidentielle argentine face au péroniste Sergio Massa, actuel ministre de l’économie. C’est la première fois dans l’histoire argentine qu’un parti d’extrême droite parvient à canaliser le mécontentement populaire et remporter une élection présidentielle. Le pays entre dans une période qui sera marquée par la confrontation sociale et l’incertitude.

Javier Milei fait un selfie avec une sympathisante
Javier Milei prend un bain de foule durant sa campagne électorale.

Les raisons de la victoire de Javier Milei sont nombreuses, mais la plus évidente est le mécontentement envers la gestion de la crise économique par le gouvernement. La situation économique après quatre ans aux affaires du Frente de Todos (péronisme) semble insurmontable: une inflation avoisinant les 140% annuels, 40% de pauvreté et 10% d’indigence. Depuis la crise économique de 2008 et ses répercussions sur l’économie argentine, le rapport de force entre les classes populaires et les tentatives de restructuration capitaliste ont été largement en défaveur des premières.

La phase de faible croissance et d’instabilité politique au niveau mondial, puis la pandémie, la guerre en Ukraine et des sécheresses record n’ont pas suffi pour justifier le manque de succès du plan économique du Ministre Sergio Massa. N’ayant pas pu s’appuyer sur son bilan économique pour attirer l’électorat, sa campagne s’est axée sur la protection des services publics (éducation, santé) et les conquêtes en matière de droits civils (droits humains, droits LGBTIQ+, IVG). Tandis que Javier Milei a réussi à canaliser le vote protestataire tout comme le désir de changement. 

Que ce soit en imposant un programme ultralibéral (1989) ou en proposant une croissance inclusive (dès 2003), le péronisme a réussi à mener à bien des restructurations économiques afin de garantir la continuité du système capitaliste. Mais toujours en restant le parti le plus plébiscité par les travailleurs·euses, notamment dans son bastion historique, la Province de Buenos Aires (la plus grande, la plus riche et la plus peuplée d’Argentine). Or, Milei n’a pas seulement écrasé son opposant dans les centres productifs du pays, il a obtenu un résultat plus qu’anecdotique dans cette province, notamment dans les couches sociales qui travaillent dans le secteur informel de l’économie.

Un autre facteur important qui peut expliquer l’arrivée de Javier Milei au pouvoir est la baisse de la mobilisation sociale à partir de 2019 avec l’arrivée au pouvoir du péronisme puis lors de la pandémie. L’opposition au confinement de la droite a lui a également bien profité. 

Qu’ils s’en aillent tous!

Pendant la campagne, avec son style excentrique de rockeur et son approche antisystème au ton plébéien, Javier Milei a interpellé l’électorat en affichant son mépris envers la «caste» politique qu’il a promis de combattre. Il s’est notamment réapproprié le slogan «que se vayan todos» (qu’ils s’en aillent tous), distinctif du processus insurrectionnel de 2001. 

Économiste libertarien, Javier Milei a promis pendant la campagne une politique économique de choc impliquant la dollarisation de la monnaie, des coupes budgétaires, des privatisations d’entreprises publiques et une réduction des tarifs douaniers sur les exportations. Son récent accord avec l’ancien président libéral Mauricio Macri remet toutefois en question ces plans.

À la recherche d’une majorité

À la suite de l’élection primaire, Javier Milei avait conclu un accord avec Mauricio Macri et une partie de son parti, ce qui s’est avéré fondamental pour obtenir les votes nécessaires pour remporter le second tour. Pour former son gouvernement, Milei devra négocier avec Macri, car son parti est minoritaire à la Chambre des députés (38 sur 257) et au Sénat (8 sur 72). Même en additionnant ces votes à ceux du parti de Mauricio Macri, ils n’atteignent pas une majorité permettant de gouverner. 

Dans le péronisme, on peut s’attendre à un repli vers son bastion principal, la province de Buenos Aires, gouvernée par Axel Kicillof, l’un des possibles successeurs de Cristina Kirchner du côté gauche du mouvement. Cependant, son aile droite pourrait entamer des négociations avec des secteurs du nouveau gouvernement.

Vers une opposition large?

Dans la gauche marxiste, les deux grands partis de la coalition FITU (Frente de Izquierda y de los Trabajadores Unidad), à savoir le PTS et le PO, n’ont pas soutenu le candidat péroniste au second tour, contrairement aux deux autres partis du front (MST et IS). Il est probable que leur posture d’indépendance de classe persiste malgré des espaces d’action commune avec l’aile gauche du péronisme.

Les centrales syndicales (CGT et CTA) et la plupart des syndicats seront en opposition au gouvernement. La question sera de savoir jusqu’où ils devront aller pour faire entendre leurs demandes et obtenir des résultats. Les mères et les grands-mères de la Place de Mai et d’autres associations de défense des droits humains, seront également mobilisées contre les projets de réhabilitation de la dictature de 76–83. La vice-présidente élue Victoria Villarruel est une fervente révisionniste.

L’arrivée de Javier Milei et de son parti au gouvernement n’est rien d’autre qu’un durcissement en faveur des capitalistes, et il fera face à une large opposition. Le péronisme pourra-t-il se reconstituer pour revenir au pouvoir? Dans quelle mesure cela ne serait-il qu’un retour à la case départ?

JR