Accord cadre
Retour du serpent de mer de La «question européenne»
Le projet de négociation en vue d’un accord cadre avec l’Union européenne reprend, sur fond d’opposition syndicale et de la droite nationaliste.
Le psychodrame helvétique du 6 décembre 1992 avait vu les électrices et électeurs refuser par 50,3% des voix l’adhésion à un espace économique européen de libre-échange (pas du tout l’adhésion à l’Union européenne, qui n’a jamais été soumise au vote) avec une Suisse romande qui acceptait massivement cet accord à plus de 75% et le reste de la Suisse qui le rejetait nettement. La question de l’adhésion à l’UE a été définitivement enterrée à ce moment-là et le gouvernement suisse a choisi depuis lors la voix d’accords bilatéraux avec l’UE.
Pour l’économie suisse, le marché de l’Union européenne est vital, à la fois pour y écouler ses produits, s’y fournir, faire des affaires et recruter de la main-d’œuvre. De là d’incessantes et interminables négociations, ponctuées d’accords, sur le prix à payer par la Suisse pour l’accès à ce mirifique marché ainsi que les conditions de cet accès.
Coup de théâtre le 26 mai 2021, le Conseil fédéral annonce que les conditions ne sont pas réunies pour la signature de l’accord prévu, fruit de 7 ans de négociations. C’est apparemment la rupture. Les causes en sont toujours les mêmes, en premier lieu la protection des salaires et les aides d’État. Mais la question est évidemment trop importante pour que les discussions ne continuent pas.
Le 8 novembre dernier, le Conseil fédéral annonce qu’il veut élaborer un projet de mandat de négociation qu’il souhaite adopter avant la fin de l’année pour le soumettre à discussion. Il charge de cette tâche le DFAE dirigé par le PLR Cassis.
Immédiatement, l’UDC et l’Union Syndicale Suisse réagissent. Dans le communiqué de l’UDC, intitulé «La souveraineté de la Suisse n’est pas négociable», trois points sont mis en évidence: pas de reprise automatique du droit de l’UE et pas de règlement des différends par la Cour de justice européenne, pas de contribution financière automatique de la Suisse et l’immigration doit rester un domaine réservé. Tout cela est exprimé dans le langage nationaliste propre à l’UDC.
Le communiqué de l’USS porte quant à lui le titre «Assurer la protection des salaires et le service public». La faîtère syndicale soutient la préparation du mandat, mais à la condition que la protection des salaires et du service public soient garantis. Pour elle, les discussions préparatoires les mettent en dangers et ne sont donc pas une base acceptable pour des négociations. La protection des salaires en Suisse doit être améliorée et non mise à mal.
Le décor est planté. La double opposition des syndicats et de la droite nationaliste est un écueil majeur pour tout projet en votation populaire.
La protection des salaires, question de classe essentielle
Quand on parle de protection des salaires en Suisse, on parle d’abord, au niveau légal, de mesures d’accompagnement. Entrées en vigueur en 2004 dans le cadre de la libre circulation des salarié·e·s venant de l’Union européenne, c’est un système de surveillance du marché du travail basé sur des commissions tripartites (État, patronat, syndicats) qui se rendent sur les lieux de travail pour s’assurer que les minimums légaux en matière de salaires, d’assurances, de sécurité sociale, de sécurité au travail, … sont respectées. C’est ce que la majorité de droite, patronale, de l’UE, veut faire sauter dans les accords avec la Suisse, car ils veulent les mains libres, dans le monde entier. Ce n’est pas un problème propre à la Suisse, c’est un enjeu social européen qui mobilise l’ensemble des syndicats européens.
L’Union européenne a été construite sur le principe de la libre circulation des biens et services, ce qui signifie que toute entreprise doit pouvoir offrir ses services dans toute l’Union et détacher des travailleur·euse·s pour les effectuer. La cour de justice européenne a donc tendance à considérer toute mesure de protection du marché du travail comme un obstacle à la libre prestation de services, donc illégale.
Les conflits se multiplient, mais les syndicats européens soutiennent leurs collègues de Suisse dans leur lutte contre l’affaiblissement des mesures de protection du marché du travail, car ils sont eux-mêmes aux prises avec le patronat dans toute l’Europe sur le même thème.
On voit bien que la question n’est pas pour ou contre l’Europe, mais une question de lutte de classe, de lutte entre employeur·euse·s et employé·e·s, pour la défense des salaires et des conditions de travail. La protection des salaires et les protections sociales n’ont pas de frontières. C’est le patronat qui utilise les frontières pour dégrader continuellement les conditions de vie et de travail. Notre lutte pour leur défense est aussi celle des travailleuses et travailleurs du monde entier.
Henri Vuilliomenet