France

Grève chez Onela, entreprise active dans le service à la personne

En France, depuis le 1er février, des salarié·es de la cellule d’astreinte de l’entreprise Onela, spécialisée dans le service à la personne, sont en grève reconductible pour dénoncer leurs conditions de travail inacceptables et dégradantes. Notre rédaction s’est entretenue avec deux des grévistes, employées d’Onela depuis 4 et 12 ans respectivement.  

Grévistes de l'entreprise Onela à Paris
Rassemblement de soutien aux grévistes d’Onela devant le siège de la multinationale Colisée Inter­national, Paris, 21 mars 2024

Onela est une entreprise spécialisée dans le service à la personne en France. Elle offre un soutien aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap. Elle fait partie du groupe Colisée International qui est présent en Italie, en Espagne, dans certains pays de l’Est et en Chine. C’est le quatrième groupe dans le secteur du service à la personne en France. Au départ, Colisée International est spécialisé dans les services à la personne en EPHAD et il a créé la succursale Onela pour se positionner sur le marché du service à domicile français. 

Nous sommes en grève pour dénoncer nos conditions de travail mais aussi celles de l’ensemble des travailleur·euses de la structure: les personnes sur le terrain et le personnel administratif. En ce qui concerne la cellule d’astreinte au sein de laquelle nous sommes employé·es, nous dénoncions depuis longtemps notre local de travail insalubre – où nous devons travailler en compagnie de rats et de cafards dans 65 mpour 15 personnes – des amplitudes horaire abusives, notamment pendant la période covid, et de manière générale un manque de respect de notre employeur vis-à-vis des salarié·es, qui se traduit d’ailleurs dans le fait qu’il n’a jamais souhaité nous entendre sur aucune de ces demandes. 

C’est face à ce refus de dialogue que nous avons décidé de passer à la vitesse supérieure et de nous mettre en grève. C’est vraiment un combat social pour dénoncer la normalisation, dans le secteur du service à la personne, de conditions de travail déplorables. Onela est une entreprise qui se présente comme humanitaire, alors que les employé·es de la cellule d’astreinte et celleux qui se trouvent sur le terrain reçoivent un salaire de misère par rapport à celui des cadres. 

Nous avons aussi constaté que les problématiques que nous rencontrions dans la cellule d’astreinte concernant l’impossibilité de dialoguer avec notre direction étaient également présentes chez les auxiliaires de vie qui se rendent au domicile des personnes. Nous sommes en contact direct avec elles. Elles nous rapportent régulièrement qu’elles ont des retards de salaire, qu’elles essaient de prendre contact avec leur employeur, sans succès. Il y a une continuité entre nos conditions de travail et les leurs, un mépris généralisé de la part de l’entreprise. Le slogan d’Onela, c’est «être bien chez soi». Avec cette grève, nous avons voulu montrer que nous, nous n’étions pas bien au travail et que c’était de la responsabilité de l’entreprise d’y remédier.  

On a organisé des piquets de grève devant le siège d’Onela et plus récemment devant celui de Colisée International. Financièrement, on a reçu un soutien de la CGT et de différents collectifs militants. Des partis politiques se sont intéressés à notre lutte et sont venus nous voir sur les piquets. On a reçu aussi beaucoup de soutiens sur les réseaux sociaux. On doit aussi rencontrer l’ensemble des organisations et des militant·es qui nous ont apporté leur soutien jusqu’ici pour discuter avec elleux de la suite de la mobilisation et voir comment iels pourraient nous apporter du soutien.  

C’est vrai qu’on ne s’attendait pas à l’ampleur que ça a pris. Il faut savoir qu’avant le 1er février, aucun·e d’entre nous ne s’était jamais mis·e en grève. C’était une première pour tout le monde, on ne savait pas où on allait. Les premières semaines, on était un peu paniqué·es. Aujourd’hui, on est plus que déterminé·es à continuer et on ne lâchera rien. On était déjà très soudé·es avant, parce que quand tu travailles dans un local de 65 m2 sur des tranches horaires de 7 à 22h, les week-ends et les jours fériés, ça crée forcément des liens. Mais depuis le début de la grève ces liens se sont encore renforcés, et notre principal soutien c’est notre collectif de grévistes. 

On a commencé cette grève à treize personnes. Aujourd’hui, on est sept à être encore en grève. On a subi des pressions de la direction qui nous a envoyé des huissiers et des avocats. Certain·es de nos collègues ont repris le travail à cause de cette pression, notamment des étudiant·es étranger·ères qui ont un statut particulièrement précaire. Mais il y a toujours une solidarité très forte entre les grévistes et celleux qui ont repris le travail. 

Nos collègues ont débrayé le lundi de Pâques pour signaler leur soutien. L’un d’entre nous a été licencié pour des motifs qu’on peut qualifier d’obscurs. La direction a prétexté une histoire de papiers, mais nous on sait que des histoires de papiers au sein de l’entreprise il y a en a depuis toujours et que ça ne leur avait jamais posé de problème jusqu’ici. On est évidemment solidaires avec lui aussi. Quand on récolte de l’argent pour la caisse de grève, on lui verse sa part et une de nos revendications vis-à-vis de l’entreprise c’est qu’elle le réintègre et régularise sa situation. 

On n’a pas eu des bons retours, comme il fallait s’y attendre. La direction a prétendu être surprise face à nos demandes, alors qu’il s’agit de choses que nous leur avions déjà fait remonter. Colisée International ne connaissait même pas notre service avant le début de la grève. Aujourd’hui, on pense qu’elle nous connait, avec les piquets de grève qu’on a tenu devant leur siège! Mais jusqu’ici, la direction s’est vraiment foutue de nous. La seule proposition qui nous a été faite c’est une augmentation de salaire de… 13 centimes par heure!  

En parallèle de ça, Laurent Ostrowsky, le directeur général de Onela, est venu apporter une problématique raciale à notre grève. Le slogan que nous mobilisons depuis le début de la lutte est: «salarié·e mais pas esclave», au sens d’esclavage moderne, en référence à nos conditions de travail inacceptables. Laurent Ostrowsky a tout mélangé. Il nous a dit qu’il n’était pas un esclavagiste, qu’il avait des amis de tous horizons et qu’il était né au Maroc. De notre côté, on n’a rien compris à ses justifications jusqu’à ce qu’on prenne conscience que, la majorité des personnes de la cellule d’astreinte étant issues de l’immigration, non blanches, il faisait un parallèle entre l’histoire esclavagiste du 18e siècle et notre situation actuelle. On voulait parler de nos conditions de travail et il nous ramenait à notre statut de personnes racisées

Dans un entretien avec la presse, quand une journaliste l’a interrogé à ce propos, il a indiqué que comme les personnes responsables au sein de la cellule d’astreinte «ne venaient pas de Corrèze» (département du sud-ouest de la France), sous-entendu qu’elles n’étaient pas blanches, il ne pouvait pas être raciste. Cet épisode a permis de mettre en lumière un racisme qui transparait dans la manière dont les employé·es racisé·es sont traité·es au quotidien dans l’entreprise. On a reçu des témoignages de personnes qui avaient vécu des situations de racisme par le passé mais qui n’avaient pas osé le dénoncer. 

Face à tout ça, on estime qu’on ne peut plus se taire, qu’en tant que salarié·es on a certes des devoirs mais aussi des droits. On aimerait aussi relayer la parole de celleux qui ne peuvent pas ou n’osent pas s’exprimer, par peur des représailles. 

Pour la suite, notre principal objectif c’est de médiatiser notre lutte un maximum. On s’est rendu compte, ces trois derniers mois, que les pertes financières engendrées par notre grève ne faisaient pas du tout bouger l’entreprise. Par contre, quand son image est écornée dans la presse ou sur la place publique, la direction se manifeste tout de suite pour essayer de protéger sa réputation. Notre leitmotiv, c’est que tout le monde soit au courant de notre situation et de la manière dont la direction refuse de discuter avec nous. 

On va bientôt discuter des prochaines actions précises à une réunion avec les militant·es et les organisations qui nous soutiennent. Ce que vous pouvez faire pour nous soutenir, c’est relayer notre lutte, participer à notre caisse de grève et la partager un maximum. Onela est une entreprise qui bénéficie de fonds publics. C’est notre argent, les impôts que nos parents paient qui sert en partie à la financer, pour qu’en retour on reçoive une misère. Il faut que ça cesse, et nous on ne va pas renoncer.  

Pour finir, on aimerait dire que notre grève n’est pas isolée, qu’on a reçu beaucoup de soutiens à l’international. Des salarié·es de Colisée International et des militant·es dans d’autres pays nous ont invité·es à venir manifester devant leur siège. On est très touché·es de cette solidarité. Au sein de la grève on est très jeunes, c’est notre première lutte sociale, la première fois qu’on se soulève, et ça compte beaucoup pour nous de recevoir ces soutiens. 

Ce qu’on vit actuellement, ça nous donne de la force. Cet engouement autour de nous nous donne envie de nous dépasser et nous fait oublier un peu les conditions très précaires dans lesquelles on se trouve. On ira jusqu’au bout parce que ça nous tient à cœur, pas seulement pour nous mais aussi pour nos mamans et nos sœurs qui sont sur le terrain, pour toutes ces personnes qui ont des emplois précaires et qui n’osent pas parler parce qu’elles ont peur de tout perdre, alors qu’on est dans un État de droit. 

Propos recueillis par Rosie Moser

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