Israël

Palestine

En défense du boycott académique

Plus d’un mois après la fin des occupations des universités suisses, il devient flagrant que la revendication centrale et commune à tous les mouvements a été largement combattue, évacuée à coup de contre-feux et autres faux-débats. Mais face à l’horreur à Gaza, le boycott académique mérite d’être débattu, et défendu.

Des professeurs en soutien au mouvement de boycott académique
Des chercheur·sexs et des membres du corps enseignant sont venu·exs soutenir le mouvement d’occupation de l’université de Lausanne

Début juin, des universitaires de l’Université Hébraïque de Jérusalem (UHJ) publient une étude qui affirme qu’il n’y a pas de famine à Gaza. Douteuse et biaisée, elle s’appuie sur des chiffres de l’armée israélienne, contredit l’avis de tous les organismes internationaux, n’est pas encore validée par les pairs, mais la voilà déjà reprise par Netanyahu lors de son interview sur la chaîne française LCI pour justifier sa sale guerre. Grotesque illustration de ce que peut produire la science en contexte colonial et des liens entre universités, État et armée israéliennes.

De Gandhi à PACBI, l’histoire longue d’un outil politique anti-colonial

En son temps, Gandhi avait appelé les manifestant·exs indien·nexs à boycotter les institutions académiques britanniques et à bâtir leurs propres institutions académiques. Quelques années plus tard, le Congrès National Africain (ANC) avait appelé au boycott académique des universités et chercheur·eusexs sud-africain·nexs dans le but de démanteler le régime d’apartheid. 

En Palestine-même, c’est est une méthode centrale de la résistance, qu’on retrouve déjà au début du 20e siècle. S’appuyant sur cet héritage, des académicien·nexs palestinien·nexs ont lancé en 2004 un appel au boycott académique et culturel (PACBI) sur le modèle du boycott Sud-Africain. Un moyen non-violent de pression politique sur l’État d’Israël, et un moyen direct de lutte contre le rôle que jouent les universités israéliennes dans le soutien à la colonisation et dans les recherches pour l’industrie militaire. Cet appel a ouvert la voie au mouvement BDS l’année suivante. Rappelons qu’en 1998, un appel au boycott académique avait déjà été lancé par des chercheur·sexs de l’Unil.

Les mouvements étudiants et un grand nombre de chercheur·sexs ont répondu à cet appel dans le contexte actuel de guerre contre Gaza. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Danemark, les mouvements ont demandé le désinvestissement des énormes fonds des universités dans les entreprises qui collaborent avec le régime israélien. En Suisse, et dans d’autres pays, les revendications ont porté sur la fin des accords institutionnels et des collaborations scientifiques avec les universités et institutions israéliennes.

Éteindre les contre-feux et défendre le boycott

La droite n’a pas hésité à qualifier le mouvement de «militant» (par opposition à une recherche qui serait neutre et apolitique, renouant avec un positivisme grossier), supposément composé d’«agitateurs» qui ne seraient pas étudiant·exs. Pourtant, ce mouvement est bien celui de membres de la communauté académique qui demandent que celle-ci se saisisse de ce qui la concerne au sujet de la guerre en cours contre le peuple palestinien: la solidarité avec les universitaires à Gaza et la collaboration à la recherche avec les universités israéliennes. Jamais le mouvement n’a fait campagne pour le financement de l’UNRWA ou pour la reconnaissance de l’État de Palestine, autant de revendications justes, mais hors du cadre de l’université. 

Or, le rapport de recherche dresse trois constats sans appel. Premièrement, l’ampleur et la variété des formes de collaborations des universités israéliennes avec l’État et l’armée. Deuxièmement, les attaques systématiques contre les libertés académiques et d’expression dans ces universités contre les voix critiques de la politique d’Israël. Troisièmement, le fait qu’au moins une des universités avec lesquelles l’Unil collabore est située dans des territoires palestiniens occupés, en violation du droit international. 

Avec tous ces éléments, la demande de boycott est parfaitement légitime. Comme le veut la ressassée rabelaisienne «Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme».

Sauvegarder la liberté académique et une science en conscience

Les opposant·exs au boycott lui opposent la liberté académique. Mais les directives de la campagne PACBI s’appliquent aux accords institutionnels et non pas aux personnes. Et précisons que ce n’est qu’un outil au service d’une cause: si Israël met fin à la destruction méthodique de Gaza et sa population, respecte le droit international, et cesse la colonisation et l’apartheid, le boycott cessera.

De plus, la demande des universitaires que la liberté académique s’exerce dans un cadre qui respecte le droit international et les droits humains n’est pas hors de l’ordinaire. C’est plutôt l’objectif des chartes de valeurs de leurs propres universités, qu’iels appellent à respecter. Le boycott relève de la responsabilité de l’université d’assurer que la liberté académique s’exerce dans un cadre qui respecte les engagements et valeurs humanistes de l’institution.

N’oublions pas non plus que la décision de la Cours Internationale de Justice (CIJ) – doublé des récents mandats de la Cours pénale internationale (CPI) contre Benjamin Netanyahu et Yohav Gallant – impliquent que les institutions qui collaborent avec Israël prennent des mesures immédiates, au nom de la prévention du risque de génocide. Y compris les universités Suisses.

6050 étudiant·exs tué·exs

Enfin, depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont bombardé toutes les universités de Gaza. Selon les derniers chiffres, publiés en avril, 6050 étudiant·exs et 266 membres du corps académique ont été tué·exs par les forces israéliennes. Les étudiant·exs de Gaza n’ont pas eu accès à leurs écoles depuis plus de 8 mois. La communauté universitaire peut les soutenir avec les moyens qui sont les siens: accueillir et soutenir financièrement les universitaires gazaoui·exs et mettre la pression sur l’État d’Israël, au moyen du boycott académique.

Ce qui devrait interroger, c’est pourquoi seules les universités se sont mobilisé·exs contre le massacre en cours. Quid de la presse dont le travail est empêché par Israël? Quid de l’industrie de l’armement qui soutient l’effort de guerre israélien? La liste est longue, et pourtant seul·exs les étudiant·exs ont été à la hauteur jusqu’à aujourd’hui, alors saluons-les!

Guillaume Matthey avec des membres du groupe qui a rédigé le rapport sur les collaborations entre l’Unil et les institutions israéliennes.

Le rapport en pdf ↗︎