Face à la violence, la mémoire

Elle s’appelait Angela Rostas. C’était une femme rrom enceinte de sept mois. Elle a été tuée par un jeune de 27 ans le 22 février dernier devant la caravane qu’elle occupait en France voisine. Le jeune chasseur et son complice ont été arrêtés en juin dernier, écroués pour crime à caractère raciste. Si vous n’en avez pas entendu parler, c’est qu’on en parle pas.  

Portrait d'Angela Rostas
Angela Rostas

Depuis de nombreuses années, elle travaillait de l’économie informelle dans le quartier de Vieusseux où j’habite. Les crimes et les violences à l’égard des rrom n’intéressent pas les médias et les politicien·nes se méfient de ce sujet «sensible». Mais pour nous, habitant·es du quartier, Angela n’était pas un objet politique, c’était une voisine, une connaissance et une amie. Et nous voulons qu’on se souvienne d’elle. Elle s’appelait Angela Rostas, et son nom ne doit pas être oublié. 

Un racisme teinté d’impunité 

Angela Rostas est morte parce qu’elle était rrom. Son assassin ne se cachait pas sur les réseaux, tout comme c’est encore le cas de groupes d’extrême droite qui appellent à aller «tirer des rrom»

La veille de sa mort, une autre caravane avait été visée par des tirs. Heureusement, ce soir-là personne n’est mort, mais la famille a quitté la région, terrorisée. Le racisme décomplexé qui vise les communautés rrom et voyageurs a cet effet: des types se sentent légitimes d’aller tirer sur des femmes enceintes et ne s’en cachent pas, certainement persuadés que personne ne le leur reprochera. 

D’ailleurs, quand en juillet 2022 les communautés de voyageurs ont été victimes de fusillades identiques, et malgré la plainte déposée par des associations constituées partie civile, cela n’a, de fait, eu aucune conséquence. C’est bien le plus triste dans l’histoire d’Angela Rostas, sa mort aurait pu être évitée si les pouvoirs publics avaient agi à l’époque. 

La mort d’Angela nous pousse aujourd’hui à agir. Le crime a eu lieu en France, c’est là-bas qu’il sera jugé. Mais il ne faut pas oublier que c’est dans la communauté du quartier de Vieusseux qu’Angela était intégrée. Elle vivait en France voisine, elle y avait scolarisé ses filles, parce que Genève ne l’a pas accueillie. 

Quelle responsabilité collective portons-nous? Les parcours transfrontaliers spécifiques à la communauté rrom ne doivent pas nous autoriser à fermer les yeux sur le sort qui leur est réservé dans le «Grand Genève».

Le vécu politique des femmes rroms 

En tant que femme rrom, Angela Rostas était à l’intersection de plusieurs formes d’oppression. Victime de sexisme en tant que femme, de racisme en tant que rrom et de classisme en tant que personne dans la grande précarité. Mais les oppressions ne fonctionnent pas en silo. Les femmes rrom sont régulièrement victimes de violences sexuelles de la part des personnes pour qui elles travaillent. Leur accès à la santé reproductive et menstruelle n’est pas acquis. 

En tant que mères, protéger et scolariser leurs enfants est un défi de tous les jours. Quand elles sont victimes, comme d’autres femmes, de violences intrafamiliales, leur accès à la sécurité est mis à mal par des relations difficiles avec les autorités et les administrations. Elles sont, comme les hommes de la communauté, harcelées par la police, mais quand on est mère en charge d’enfants, être retenue dans une cellule même quelques heures et se voir soutirer les maigres revenus qu’on a réussi à obtenir, c’est douter de pouvoir récupérer et nourrir ses enfants. 

Et pourtant, c’est notamment à travers le soutien qu’on apporte aux femmes et aux filles qu’on renforce la communauté. Angela Rostas l’avait compris et malgré les difficultés structurelles extrêmement pesantes, elle avait réussi à scolariser ses filles. Elle voulait une vie différente pour elles. Le raciste qui a mis fin à ses jours a également mis fin à ses rêves – qui sont des droits pour la majorité d’entre nous. Aujourd’hui ses deux filles en âge de scolarité sont retournées en Roumanie. Terrorisées à l’idée de revenir en France, elles n’ont, ainsi que leur père, plus accès à leur logement, mis sous scellés. La famille n’a pas été relogée. 

Aujourd’hui, un groupe d’habitant·es du quartier s’est constitué pour honorer la mémoire d’Angela et réfléchir à la situation de ses filles et des femmes rrom en général. Ce soutien que nous souhaitons apporter ne passera que par la société civile et les associations. Au vu du climat politique général, il nous semble que c’est à travers l’engagement citoyen que les choses peuvent bouger. Angela Rostas ne peut pas être morte pour rien, et il nous appartient de nous mobiliser pour que ce crime ne soit pas invisible. Nous lui devons cela. 

Coline De Senarclens