De l’occupation d’un jardin au forum du sans-abrisme
Le premier forum du sans-abrisme de Suisse romande s’est tenu à Lausanne du 30 janvier au 1er février derniers. Il a réuni pendant trois journées plusieurs centaines de personnes concernées, militant·es, travailleur·ses sociaux·ales ou chercheur·ses. À cette occasion, la rédaction s’est entretenue avec une membre du collectif 43 m2 qui a co-organisé l’événement.
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On connait le collectif 43 m2 pour les occupations menées durant les étés 2022 (HETSL) et 2023 (Vidy) pour dénoncer la pénurie d’hébergements d’urgence en ville de Lausanne. Peux-tu nous expliquer où en est le collectif aujourd’hui?
À la sortie de l’occupation du théâtre de Vidy, nous avons mené un important travail de réflexion en interne, à la fois sur nos revendications et sur les modes d’action employés. Il nous a semblé nécessaire à ce moment-là de développer un nouveau discours, de sortir de la seule problématique de l’hébergement d’urgence et d’approfondir nos connaissances sur la question du sans-abrisme/sans-chez-soi-risme. Il en a résulté un processus d’auto-formation, avec notamment la lecture de nombreuses études empiriques sur le sujet et l’élaboration de nouvelles revendications qui placent le mot d’ordre «housing first» au cœur de notre discours. Ces revendications ont été réunies dans une brochure, que nous avons envoyée à l’ensemble des député·es du Grand Conseil, et à toutes les municipalités et tous les Conseils communaux du canton.
En parallèle, nous avons initié un travail de lobbying politique, en constituant un groupe de travail dédié qui s’est mis en contact avec des élu·es appartenant à la gauche de l’échiquier politique et présent·es aussi bien dans les parlements que dans des instances exécutives. L’idée de ce groupe est de produire de l’action parlementaire à différentes échelles, et potentiellement de manière coordonnée, pour faire exister la question du sans-abrisme dans le débat politique et obtenir des avancées concrètes.
Finalement, nous avons également constitué un groupe dont l’objectif est de réunir des personnes concernées directement par le sans-abrisme. Cette dimension était absente de nos premières actions, puisque le collectif ne comportait pas à ce moment-là de personnes concernées.
Comment le forum vient-il s’insérer là-dedans? Et quels étaient les objectifs visés avec un format de ce type?
Le forum fait partie de cette réflexion plus large autour de l’idée qu’il fallait que l’on élargisse la focale, que l’on ne se concentre pas seulement sur la ville de Lausanne, ou sur l’hébergement d’urgence. C’est pour ça qu’avec les autres organisateurs – l’observatoire des précarités de l’HETSL, l’HETS-FR et Pôle Sud – nous avons souhaité inviter des personnes qui viennent d’autres contextes géographiques (comme le syndicat des Immenses, qui réunit des personnes en situation de sans-abrisme à Bruxelles) et mélanger les interventions de chercheur·euses spécialistes de cette thématique avec celles de travailleur·euses du secteur, de militant·es engagé·es sur ces questions et de personnes concernées. L’organisation concrète du forum dans deux lieux distincts, l’HETSL et Pôle Sud, permet aussi de rendre compte de cette pluralité des points de vue que nous avons souhaité mettre en avant.
Il s’agit aussi d’un événement qui, on l’espère, permettra d’atténuer certaines difficultés dans les échanges que l’on a perçu depuis notre création avec des professionnel·les du secteur qui ont pu être heurté·es par nos prises de position sur la problématique de l’hébergement d’urgence. Iels ont pu se sentir visé·es dans leur pratique professionnelle alors que c’était les manquements d’un système que nous cherchions à dénoncer. Il nous a semblé que le forum permettrait de dépersonnaliser un peu ces enjeux, de réaliser que finalement nous regardons tou·tes dans la même direction, même si les stratégies adoptées peuvent varier.
Pour finir, on espère que l’organisation d’un événement pionnier de cette ampleur, puisqu’il s’agit du premier forum de ce type organisé en Suisse romande, permettra de nous positionner un peu plus dans l’écosystème de la lutte contre le sans-abrisme, renforcera notre légitimité et nous permettra de poursuivre les échanges sur le long terme avec des acteurs plus institutionnels, comme les Hautes Écoles de Travail Social de Lausanne ou Fribourg.
Quelles sont les suites envisagées pour le collectif?
Nous voulons à la fois continuer de renforcer nos connaissances sur la problématique du sans-abrisme, mais surtout développer ce groupe de travail qui réunit des personnes concernées et le travail de lobbying politique. Nous avons également commencé à développer une importante base de données, que vous pouvez retrouver sur notre site internet, et qui vise à recenser des informations politiques, médiatiques et militantes sur le sans-abrisme dans le Canton ces six dernières années. Il y aura aussi tout un travail d’archivages et de diffusion post-forum, puisque toutes les activités ont été filmées et que Loose Antena a réalisé des enregistrements sonores pour un futur podcast.
Propos recueillis par Noémie Rentsch