Les Queerasses: populariser et professionnaliser le drag romand!


Les Queerasses est une association qui souhaite jouer un rôle actif dans la reconnaissance et la valorisation de la culture queer et drag. L’un des trois artistes de ce collectif, le drag king Luigi (Louise Bonpaix), présente leur travail.

Frida Nipples, Eustache McQueer, et Luigi The Submissive Macho
Les Queerasses (Frida Nipples, Eustache McQueer, et Luigi The Submissive Macho), décembre 2024

J’aime beaucoup sa définition courte la plus ouverte possible: il s’agit de performer en jouant avec les codes de genre. Par exemple une drag queen joue avec les codes de la féminité, un drag king joue avec les codes de la masculinité. Mais la réalité est toujours bien plus diverse et surprenante.

Chaque personne en fait à sa manière, mettant l’accent sur le costume, le maquillage, le travail de la gestuelle ou la construction du personnage et de son histoire. Cette addition d’éléments donne un alter ego – propre à son interprète – qui va évoluer au fur et à mesure de ses apparitions ou de ses performances.

Avec un alter ego, on se permet d’aller beaucoup plus loin; on devient une version augmentée de soi, pour le meilleur (comme pour le pire), mais on peut choisir dans quelle direction l’orienter. Quand tu as un alter ego drag, il te suit pour la vie, que tu le sortes souvent en show ou en soirée, ou plus du tout.

Ce que je trouve très beau avec le drag, c’est que tout le monde peut en faire, pas besoin d’avoir un diplôme en art dramatique ou d’en faire son activité principale. Il s’agit de jouer avec les normes de genre, en les déconstruisant: c’est un questionnement que tout le monde peut avoir, car tout le monde est touché d’une manière ou d’une autre par ces injonctions sociétales. 

De ce que j’observe, c’est une pratique très fédératrice, autant pour les artistes de scène que le public. On est ensemble dans ce bateau de la binarité de genre, et qu’on y adhère ou non, on peut toujours en rire ou y réfléchir. Les drags sont là pour certes divertir, amuser, faire rêver, mais aussi pour ouvrir des portes, lancer des réflexions, remettre en question des acquis intimes comme politiques. 

En 2018, année de mon coming out non-binaire, j’ai commencé le drag, pendant un atelier de performance auquel j’assistais dans le cadre de mon Master en Arts Visuels. Je pratiquais déjà ce medium, mais j’ai eu là l’occasion d’expérimenter la création simple et spontanée d’un double, qui m’a finalement suivi jusqu’à aujourd’hui: Luigi. 

Comme ma pratique du drag est plutôt solitaire et puise dans mon vécu personnel, elle peut parfois devenir une quête égotique perpétuelle, ce qui peut autant créer de l’empouvoirement que de la vulnérabilité. Luigi, dont l’une des caractéristiques est l’ambition, s’est beaucoup développé depuis ses débuts, jusqu’à devenir le personnage principal d’une pièce de théâtre (Luigi Ego Mania, 2023). La limite que j’y ai trouvée est l’épuisement. Heureusement dans ce domaine, la création en individuel s’épuise parfois là où la création collective démultiplie les possibles. C’est une des richesses que m’a apportées le projet des Queerasses.

Les Queerasses, c’est une association fondée en 2024, sur une volonté de la drag queen Frida Nipples (Beatriz Anguita), lae chanteureuse Eustache McQueer (Joël Defrance), et le drag king Luigi (Louise Bonpaix, moi-même donc). 

Nous nous sommes lancé·exs dans ce projet pour offrir des espaces de retrouvailles pour la communauté LGBT+ autour de shows drag, ouverts à tout public. Nous voulions aussi proposer des spectacles à des horaires plus diurnes que ce qui se fait en majorité dans la région, pour pouvoir toucher un public varié, et sensibiliser les publics à la diversité des expériences LGBTQIA+ à un niveau intersectionnel comme intergénérationnel. Dans cette optique, nous avons travaillé et travaillons en collaboration avec des entités culturelles et des associations LGBTQIA+ locales, par exemple Dialogai, Lestime, le Kauri, le festival de cinéma Black Movie, le festival de cinéma queer Everybody’s Perfect…

En somme, c’est une proposition de professionnalisation structurelle de la pratique du drag en Suisse Romande.

Nous sommes en train de demander des subventions pour une trilogie d’événements sur 2025, dont chaque volet sera composé d’une soirée-spectacle aux Salons, précédée d’un weekend de workshop drag. Chaque thématique de chapitre a été choisie parmi les préoccupations qui nous réunissent: la santé mentale, la fluidité de genre, et le sexe-positivisme.

Dans ces ateliers, nous partagerons nos savoirs autour de trois dimensions essentielles à l’art scénique du drag: la création visuelle (maquillage, costume), la dimension sonore (montage audio, technique vocale, choix musicaux), et l’expression corporelle (incarnation du personnage). En un weekend, les participant·exs pourront explorer ces aspects à leur rythme, échanger et s’exprimer. Iels auront ensuite l’opportunité de présenter une performance pendant la soirée qui suit, pouvant ainsi prendre confiance sur scène en recevant le soutien de l’équipe et du public.

Propos recueillis par Donna Golaz