Allemagne
Récompense collective pour Die Linke
Après la débâcle des dernières élections européennes de juin 2024 (2,7%), Die Linke s’est complètement relevé lors des dernières élections fédérales allemandes en obtenant l’un des meilleurs résultats de son histoire (8,8%). Quelques éléments d’explication de ce comeback.

Longtemps dans la zone de mort politique des sondages – bien en-dessous du quorum de 5% – Die Linke a réussi l’exploit de tripler son nombre d’électeur·ices en quelques semaines de campagne. Avec 64 sièges obtenus (10% du parlement), le parti renoue ainsi avec ses succès électoraux précédents. Avec 4,35 millions de suffrages de liste, il obtient son deuxième meilleur résultat lors d’élections fédérales, avec un record de voix à l’Ouest. Le parti progresse chez les ouvrier·ères avec 8% (+3%), les employé·es avec 9% (+4%), ainsi que chez les femmes avec 10%, (+5%). Ce relatif succès de Die Linke repose sur une mosaïque dont voici quelques tesselles.
Un programme de gauche
Tout d’abord, son programme, qui s’attaque sérieusement au capital et aux super-riches afin de surmonter les crises de notre époque dans le cadre d’une transformation socio-écologique, le distingue clairement dans le paysage politique. Die Linke est effectivement un parti de programme: 80% de ses électeur·ices votent pour le parti en raison de son programme – contre 9% par attachement au parti et 12% pour ses candidat·es.
L’ancrage local contre l’hégémonie médiatique
Outre son ancrage de longue date dans des initiatives locales ou sa pratique de longue date de consultations sociales, le parti a montré à maintes reprises ces dernières années ce qu’il avait dans le ventre en menant des campagnes électorales locales étonnamment puissantes et parfois couronnées de succès. Dans cette campagne électorale pour le Bundestag, Berlin-Neukölln a sans doute fourni la campagne la plus spectaculaire. L’équipe autour de Ferat Koçak a frappé à presque toutes les portes de la circonscription et a vu ses résultats grimper en conséquence. Cette pratique du porte-à-porte, déjà introduite dans le parti sous la présidence de Kipping/Riexinger (2012–2023) et continuellement développée depuis, s’est avérée être un pendant utile à l’offensive des réseaux sociaux et des talk-shows. Jusqu’au jour de l’élection, Die Linke a ainsi frappé à plus de 600000 portes dans tout le pays, construisant ainsi un canal de communication indépendant des talk-shows mainstream.
Les têtes de liste ont également fait des apparitions fortes: les interventions médiatiques de Jan van Aken ont enthousiasmé au-delà du parti, tandis que le discours de Heidi Reichinek contre l’alliance des voix CDU-AfD au Bundestag a été visionné plus de 25 millions de fois. La déclaration de Merz lors de ce vote («Je ne regarde ni à gauche ni à droite») puis le vote du 29 janvier 2025 qui a abouti à la première majorité atteinte avec des voix décisives de l’AfD, a déclenché le turbo pour la campagne de Die Linke.
Une campagne marquée par l’unité
Les nouveaux dirigeant·es du parti ont agi avec brio: leur première action a été de limiter leur propre salaire au salaire allemand moyen, ce qui a augmenté leur crédibilité interne et externe. Les campagnes concrètes autour des loyers, notamment le «check des frais de chauffage» qui aidait les locataires à déterminer si elleux avaient droit à une ristourne, a permis de démontrer son ancrage dans les réalités.
L’ensemble de la campagne électorale a donc été marqué par l’unité et s’est déroulé sans aucune erreur technique dans un contexte favorable: les électeur·ices de gauche n’ont pas eu de raisons de voter utile pour le SPD ou les Vert·es, affaiblis par leur participation à la coalition au pouvoir – et déjà en concurrence pour savoir qui pourrait finalement faire élire Merz comme chancelier.
Il convient toutefois de jeter un regard lucide sur le contexte socio-politique: l’AfD est à plus de 20%, le plus haut résultat de son histoire. Le parti d’extrême-droite est solidement établi dans certains territoires, notamment à l’Est. Dans le contexte de fascisation actuel, le cap que vont prendre les élites au pouvoir qui lui sont liées n’est pas clair. Pour les luttes à venir, les choses auraient toutefois été définitivement plus difficiles sans une voix de gauche au Bundestag.
Une refondation du parti
La dynamique qui se déploie autour de Die Linke est impressionnante. Il s’agit en fait d’une refondation du parti: environ 60% de ses membres ont adhéré depuis les élections fédérales de 2021, plus de 50% depuis le départ de Sahra Wagenknecht – signe que la longue querelle interne ternissait l’image du parti. Au 20 février, le parti comptait plus de 95000 adhérent·es.
Ses très bons résultats chez les jeunes – avec 25% (+17%) chez les 18–25 ans et 16% (+9%) chez les 25-34 ans – ont de quoi susciter de l’espoir. Beaucoup d’entre elleux ayant semble-t-il voté pour les Verts ou le FDP ces dernières années, l’un des principaux défis pour Die Linke est de fidéliser ces électeur·ices sur le long terme.
Traduit et très adapté d’un texte de Moritz Warnke pour la Fondation Rosa Luxemburg