Ukraine
Réarmement et barbarie?
Dans son article paru dans le numéro 446 de ce journal, Hanna Perekhoda soutient à plusieurs reprises la nécessité «indéniable» et «urgente» d’un réarmement européen. Nous pensons qu’il serait erroné de s’inscrire dans cette perspective militariste du continent et qu’il faut sortir de l’alternative entre un soutien au militarisme des classes dirigeantes européennes et un abandon du peuple ukraininen.

L’expression «réarmement militaire» se généralise chez les responsables politiques des pays européens et de l’UE. Avec l’argument irréfutable d’assurer la «sécurité» face à la menace militaire russe et pour combler le possible abandon de l’engagement américain d’une défense militaire du continent européen. Cette nouvelle orientation d’augmentation significative des budgets de la défense (de 2 à 5% du PIB) est-elle crédible et réalisable?
Les objectifs d’accroissement des budgets de la défense sont pour l’instant des effets d’annonce, avec une rhétorique guerrière destinée aux opinions publiques et électorales. Cela permet à Macron de reprendre un possible leadership européen, après son affaiblissement politique en France et alors que le pays est en pleine tempête budgétaire, avec des déficits croissants. Pour le futur chancelier allemand, cela lui permet de tenter d’asseoir une autorité sur le prochain gouvernement de coalition, affaibli par une absence de majorité parlementaire. La modification du mécanisme de frein à l’endettement ne signifie pas que les choix budgétaires seront plus faciles.
Relance économique par le réarmement
En pleine crise commerciale et tarifaire planétaire, les risques d’une sérieuse récession économique sont bien réels. Ce projet de réarmement apparaît dès lors comme une bouée de sauvetage, un plan de relance industrielle financé majoritairement par les budgets publics pour affronter des prévisions de croissance faibles, annoncées notamment par le FMI.
Le rapport Draghi concluait en 2024 qu’un plan d’investissement de 800 milliards d’euros était nécessaire pour relancer la «compétitivité» européenne. Pour l’instant, l’échec de ce projet est total. Et maintenant, l’UE lance l’idée d’un emprunt équivalent pour la défense, sans savoir comment le financer. En outre, augmenter les capacités de production militaire ne s’improvise pas, surtout avec la concurrence acharnée entre quelques pays (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni), chacun défendant son industrie nationale.
Tous ces gouvernements en grande difficulté économique et budgétaire chercheront à imposer des politiques d’austérité sur les services publics et les dépenses sociales, les justifiant avec des arguments sécuritaires et nationalistes. Avec les poussées électorales d’extrême droite, cela facilite l’argumentation, mais leur adoption peut être mise en cause par des oppositions sociales.
En quoi est-ce un soutien à l’Ukraine?
Parallèlement, ces annonces de réarmement éludent la question de l’attribution de moyens immédiats de défense pour l’Ukraine.
Ces moyens supplémentaires annoncés, à condition que ces plans se réalisent à la fois sur les aspects financiers et matériels, prendront plusieurs années, en étant optimiste. Les menaces de suspension de l’aide militaire par l’administration Trump sont immédiates.
L’urgence est donc de fournir du matériel pour se défendre contre l’agresseur, qui ne faiblit pas dans ses attaques, sur terre comme dans les airs. Le refus de reconnaître cette priorité dans le contexte de la suspension de l’aide étasunienne ne peut qu’avantager l’agresseur et ses alliés et augmenter ses prétentions politiques et territoriales. Les plans de Macron et de l’UE ne répondent donc pas à cet enjeu primordial.
La Russie, une menace?
Indiscutablement la Russie a tenté d’occuper militairement l’Ukraine. Cette tentative peut-elle s’étendre à d’autres pays? L’hypothèse est peu vraisemblable. La Russie est épuisée économiquement et militairement par ce conflit. L’économie de guerre est susceptible d’alimenter une contestation interne. Actuellement, les budgets de défense cumulés de l’UE représentent trois fois celui de la Russie. Les menaces agitées par l’UE ressemblent à un épouvantail de piètre consistance.
Soutenir l’idée de réarmement valide la critique disant que la baisse des budgets de défense observée depuis la fin de l’URSS et du pacte de Varsovie («les dividendes de la paix») a été une erreur de gouvernance fondamentale. La perspective d’un État fort sur sa composante militaire et anti-social refait surface.
Il faut donc dissocier la critique justifiée du chantier de réarmement des pays de l’UE, de la demande de continuer à fournir des armes en suffisance à l’Ukraine. Réaffirmer des objectifs comme la fin des pactes militaires, l’abandon de la course aux armements et de la dissuasion nucléaire, l’attribution des budgets de la défense pour améliorer la sécurité sociale et climatique, peut être compatible avec une politique anti-impérialiste de soutien à une résistance armée d’un peuple agressé.
José Sanchez